samedi 15 octobre 2016

Les excuses...

Aujourd'hui, petit cours de vocabulaire pour débutant non-agresseur. Ne soyez pas offusqué si, ne vous sentant pas concerné par ce sujet, vous avez l'impression que je vous prends un peu pour des abrutis finis : je vous garantis que si je prends la peine d'user mes petits doigts sur un clavier pour vous pondre un accès de pédagogie, c'est que j'ai croisé pas mal de personnes qui ont du mal avec des concepts de base. C'est un peu quand on rédige un manuel d'utilisation. Tout le monde trouve profondément stupide de préciser qu'on ne sèche pas son chat dans un micro-ondes, et pourtant...

Même si vous estimez n'avoir vraiment rien à apprendre de cet article, laissez-moi vous suggérer d'y jeter un coup d'oeil en diagonale. Sait-on jamais, parfois, on redécouvre plein de choses en feuilletant un cours pour débutant !





Commençons en douceur par le mot « excuses ». J'ai noté qu'un certain nombre de gens éprouvaient des difficultés avec ce terme, ainsi qu'avec ses corollaires « Désolé » et « pardon ». Je vous propose avant tout une définition simple de la présentation des excuses : signifier à quelqu'un qu'on accepte le fait qu'on a fait une connerie et que l'on est prêt à en assumer les conséquences.

Facile, pas vrai ? Alors passons à ce que des excuses ne sont pas :

  • Un passage d'éponge auto-proclamé sur un acte ou des propos problématique-s
  • Un sauf-conduit pour s'affranchir de ses responsabilités et des réparations éventuelles dudit acte/desdits propos
  • Un bon pour réitérer ou poursuivre ses bêtises tant que le mot « désolé » est prononcé régulièrement
  • Un bon pour des cookies

Je vous sens perplexe, on précise un peu tout ça ?


Les excuses ne sont pas un passage d'éponge auto-proclamé sur un acte ou des propos problématique-s

Présenter ses excuses est rarement une mauvaise chose en soi : dire à la personne qu'on a blessée qu'on a pris conscience d'avoir mal agi permet de lui signaler qu'on a quelque chose à faire de son ressenti et qu'on tient compte de ce qu'elle attend de nous. Malgré tout le mal est fait et selon les dégâts occasionnés, la faute peut s'oublier facilement... ou avoir des répercussions plus importantes.

Or, s'il appartient à celui qui a déconné de tout faire pour réparer, il n'a aucun droit à exiger que l'autre efface son ardoise au seul motif que lui, ça l'arrangerait bien ! Les excuses sont une étape préliminaire à la réparation de dégâts ou à la modification d'un comportement, non la conclusion automatique d'un litige.


Les excuses ne sont pas un sauf-conduit pour s'affranchir de ses responsabilités et des réparations éventuelles d'un acte/de propos problématique-s

Un peu de logique : si vous admettez être responsable d'une chose négative, vous ne pouvez pas rester sur ces jolies paroles et espérer qu'elles aient un effet guérisseur magique et suffisant. Ca peut peut-être diminuer légèrement le ressentiment et/ou la douleur de celui/celle que vous avez blessé-e, mais les paroles semées au vent montreront toujours moins que des actes concrets votre volonté de corriger le tir. Tenter de réparer ce que l'on a cassé est un effort nécessaire.


Les excuses ne sont pas un bon pour réitérer ou poursuivre ses bêtises tant que le mot « désolé » est prononcé régulièrement.

Le préalable à tout début de réparation... c'est de ne pas avoir en tête de recommencer la même connerie après avoir présenté ses excuses ! Logique, non ? Pas pour tout le monde... et c'est ennuyeux. Comme on l'a vu plus haut, dire qu'on est désolé n'est pas prononcer une formule magique : si vous ne changez rien au problème derrière et enchaînez joyeusement en continuant sur votre lancée, le signal envoyé est qu'au fond, vous n'avez cure des reproches adressés.

J'amende un peu ce passage : vous pouvez parfaitement estimer que vous n'avez pas de torts, mais qu'en face, votre action/propos peut être perçu de manière désagréable. Ca peut très bien se défendre, mais dans ce cas vous ne devez pas attendre qu'en face on change son ressenti pour vous agréer. Vous pouvez l'espérer, hein... mais ça ne dépend plus de vous.


Les excuses ne sont pas un bon pour des cookies

Vous souvenez-vous de la définition du cookie dans le vocabulaire féministe, donnée dans un précédent article ? Une récompense espérée pour avoir fait une chose normale. Est-il besoin de préciser plus ma pensée ?



Jusque-là, tout le monde suit ? Parfait. Poursuivons donc avec deux grosses erreurs à éviter quand on présente ses excuses (car non, on ne s'excuse pas soi-même, contrairement à ce qui est communément dit, on présente à l'offensé-e la possibilité d'accepter nos excuses. En gros, on accepte de perdre le contrôle. Désagréable ? Indispensable néanmoins !)
Bien entendu, ce qui suit ne vaut que si on souhaite présenter des excuses sincères, et qu'on sent qu'il faut faire amende honorable. Il y a forcément des cas où les reproches nous semblent illégitimes, voire où on peut se sentir ouvert à la discussion sans désirer endosser de responsabilité. Ca rentre dans un autre domaine, que nous n'allons pas voir aujourd'hui.


Première erreur que j'ai pu observer fréquemment : les fausses excuses qui masquent un renvoi de la culpabilité vers la personne lésée.
Ce n'est jamais agréable d'être pris en défaut. Et il arrive que la tentation soit très grande de nier sa faute pour mieux la replacer sur d'autres épaules. Et tant qu'à faire, autant charger la personne qui nous fait comprendre qu'on l'a heurtée ! Par exemple, marcher sur le pied de quelqu'un et lui reprocher d'être sur le passage, ce n'est pas très logique... et encore plus désagréable pour celui ou celle qui a vu son pied se faire allègrement piétiner !
Concernant des actes plus graves, entendre un « je suis désolé mais si tu n'avais pas... » ou un de ses dérivés va bien au-delà du simple agacement et peut faire de sacrés ravages. En plus de gérer les dégâts, la victime doit prendre sur elle une part de culpabilité qui ne lui revient pas en réalité.

Sur ce sujet, je vous renvoie avec plaisir à une bien meilleure pédagogue que moi :
https://dansmontiroir.wordpress.com/2016/09/22/le-victim-blaming-ou-pourquoi-je-gronde-mon-chat-apres-lui-avoir-marche-sur-la-queue/

Seconde erreur classique : présenter des excuses en minimisant ce qu'on a fait et/ou ses conséquences.
Parfois, quand on est visé par des reproches, ce n'est pas simple de prendre la mesure de ce qu'on a fait subir. Et une défense naturelle consiste à essayer de baisser artificiellement la portée de ses actes. Malheureusement, la personne qui a subi est plutôt bien placée pour parler de son préjudice... précisément parce qu'elle l'a subi. Et croyez-moi, en dehors du cas précédent, il y a bien peu de choses aussi désagréable que d'entendre que non, on a pas si mal qu'on le prétend et qu'on exagère... C'est une autre façon de se sentir nié-e.


Ainsi se termine ce petit cours d'initiation sur le thème des excuses... d'autres personnes ont fait des articles sur ce vaste sujet, tout autant pertinents, sinon plus, que le mien. N'hésitez pas à approfondir vos connaissances en la matière, un excès de culture est rarement nuisible !

vendredi 14 octobre 2016

Safe control...

Bon, les gens. On va mettre certaines petites choses au point. Sans thé, sans cookies... un peu sur le tas, en fait, parce que j'en ai gros, comme dirait l'autre. Ca ne justifie pas entièrement mon manque de nouvelles sur le blog depuis un moment mais ça y participe un poil, dira-t-on, au milieu d'autres tempêtes.

Histoire de justifier un peu le titre de cet article, parlons un peu d'un truc qui me dérange de plus en plus : le safe à tout prix.



Le concept d'espace d'expression safe est régulièrement exploité dans un mauvais cadre, selon moi. Je sais que je vais irriter des gens avec mon propos. J'en suis navrée. Je n'exclus pas complètement l'idée que je puisse me tromper, mais j'apprécierais qu'on me fasse crédit d'avoir réfléchi au sujet autrement que superficiellement. Ceci précisé, passons aux choses sérieuses.

Traînant mes guêtres assez souvent sur divers groupes féministes, NA, je me sens de plus en plus mal à l'aise avec les dérives que je peux souvent observer quand il est question de garder un contrôle sur le vocabulaire employé.
Par mon métier de correctrice, ou tout simplement parce que je suis une grande amoureuse des mots, je suis ô combien consciente de leur importance, et du fait qu'ils ont tous un poids et une saveur. Néanmoins, je sais aussi que parfois, il est plus important de faire passer un message global que de choisir chaque terme avec un soin méticuleux. Et plus important encore en face de tolérer des expressions qui nous agacent ou nous heurtent dans certaines circonstances.

Oui, bon, on va passer de la grande théorie sirupeuse à des exemples un peu concrets, hein, avant vous ne vous endormiez.

Il y a un peu plus d'un mois je crois, sur un groupe que j'apprécie beaucoup, j'exposais une anecdote dans laquelle, aux prises avec un homme aux propos très graves, j'avais eu une réponse jugée non safe. J'avais en effet expliqué à cet aimable gus que s'il n'arrivait pas à envisager la possibilité qu'une femme réponde non à ds avances, c'est qu'il devait avoir une atteinte neurologique sévère.
Etant moi-même assez concernée par le sujet, puisque mon cerveau semble avoir plus de cicatrices que d'espace en bon état, je sais tout ce que peut impliquer ma répartie. Notamment, le fait qu'assimiler la bêtise à un réel état pathologique peut sembler désobligeant pour ceux qui luttent contre ledit état pathologique. Certes.

Des gens ont promptement réagi en me demandant de supprimer mon post, parce que ma réaction à la situation n'était pas une répartie safe.

Mais d'une part, quand on me dit qu'on ne « peut » pas envisager un refus, j'ai tendance à rétorquer qu'il est un peu facile de se retrancher derrière une incapacité... sauf si elle a une cause technique. Ce n'est pas rabaissant pour les personnes neuroatypiques, mais pour celui qui se sert de ce paravent au mépris de toute décence, ça peut lui faire réaliser qu'il ne peut renier sa responsabilité si aisément. Et si, effectivement, il y a un réel souci neurologique, j'aurais accepté une réponse en conséquence, et proposé des excuses éventuellement.
D'autre part et plus viscéralement, j'ai réagi ce jour-là avec toutes les émotions qui se battaient en duel dans mon esprit : la colère, la peur, la lassitude aussi... si j'avais déjà en embryon la pensée que je vous ai soumise un paragraphe plus haut, j'ai surtout fait avec mes armes dans une situation d'urgence.

Etait-ce une réponse calibrée ? Dans ce cas précis, elle m'a semblé adaptée sur le moment et je ne la renie pas aujourd'hui. Aurais-je dû la citer dans un groupe se voulant safe ? Je ne sais pas. Je me suis soumise aux règles des lieux et dans un sens c'est parfaitement normal. Mais ce que je retiens, c'est que j'ai pris la parole comme victime face à un homme aux propos très dérangeants. Et qu'au lieu d'un soutien, même modéré, devant un événement récent et très désagréable, on a sauté sur ma propre façon de contrer un discours extrêmement inquiétant. Le safe à tout prix s'est retourné contre la parole d'une victime.

On peut me dire que ce que j'avais posté sur ce groupé était maladroit et devait être recadré. Admettons. Mais en attendant, en tant que victime, j'ai dû me taire. Et autant ma mésaventure fut désagréable, autant je remarque de plus en plus une chose qui ne me concerne pas en première ligne car j'initie rarement des discussions sur les groupes, mais qui m'alarme fortement : pas mal de gens commencent un post par « dites-moi si ce que j'écris doit être recadré ou n'est pas safe, je suis nouveau/velle »... autrement dit, pour des personnes qui ont parfois besoin de conseil, ou de soutien, cette contrainte du safe est posée avant même le fond de leur demande ou de leur discours... et ça me gêne d'autant plus que le concept de base est censé mettre toutes les victimes dans un espace où leur parole sera prise en compte et où une certaine sécurité leur sera offerte. Je pense qu'un terme ou une expression problématiques seront toujours moins préjudiciables... que l'impossibilité de mettre ses propres mots sur son histoire.

Dans un autre genre, je vois que le vocabulaire à bannir selon certains est très étendu, parce que quelques mots couramment employés ont leurs racines plongées dans des domaines particuliers, quelle que soit leur évolution sémantique par ailleurs. Ainsi, les termes « idiot », « fou », font référence à une antique conception de la psychiatrie, « con » est l'ancienne appellation du vagin, etc... cela dit, les mots sont vivants et se détachent assez facilement de leurs origines. J'approuve le fait de tenter au maximum de faire attention à notre façon de parler. Mais parfois, il faut aussi accepter qu'aujourd'hui, un con est avant tout dans l'imaginaire collectif une personne au mieux désagréable, au pire carrément nocif. Ok, c'est moyen glorieux de rattacher ça à l'anatomie féminine. Mais entre ceux qui ne savent pas l'étymologie du mot, ceux qui la déconnectent purement du sens actuel... il me semble que rendre le terme « con » indisponible est une fois de plus davantage préjudiciable qu'efficace en terme de lutte contre la misogynie.

Dans la grande théorie, effacer tout ce qui est discutable peut s'entendre, mais en réalité tout le monde n'a pas la même culture et donc le même stock linguistique dans lequel piocher des mots convenant au message qu'il souhaite faire passer. Bien entendu, il y a une limite à ça : on ne peut pas tout admettre. Un « travail d'arabe » reste péjoratif envers tout une population, une manifestation de saine colère venue d'une femme sera facilement qualifiée de « crise d'hystérie »... Le tri n'est pas facile à faire entre ce qu'on peut tolérer ou non, ce qui doit amener un travail de pédagogie ou un rejet catégorique. Mais ce dont je suis persuadée, c'est qu'il vaut mieux réagir à des termes problématiques plutôt que de les interdire d'emblée, dans la mesure où le sens général du discours n'est pas en soit un souci.


L'espace safe est censé être apaisant, sécurisant... non un espace de contention ultime de la parole. Du moins c'est le sens qui me semblerait logique.

dimanche 21 août 2016

Intermède musical... où l'on parle quand même de la culture du viol

Complice par le silence, Mr Yéyé, version a capella



Et la foule, tête baissée, enfile son écharpe de plomb, complice par le silence...

Cette chanson me serre le cœur. Oh, je n'ai guère de tendresse pour son narrateur

(Au contraire de l'artiste qui a créé et interprété cette œuvre avec talent et justesse. Non, vraiment, allez écouter Mr Yéyé, il mérite largement son succès, et bien plus encore) Ce personnage qui se lamente parce qu'il a des remords d'avoir laissé une agression sexuelle se dérouler devant lui, je lui voue plutôt un mélange de colère, de rage impuissante, de lassitude... et de pitié.

J'aimerais lui adresser un message, à ce type. Seulement, vous m'en excuserez, mais je vais éviter de le faire en chanson, pour le bien de vos oreilles !

Cher porteur d'écharpe de plomb, tu sais que ce que tu as fait ce jour-là, détourner les yeux et fuir, est mal. Ne compte surtout pas sur moi pour t'absoudre, tu risquerais d'être déçu. Les conséquences de tes actes sont là et la femme violentée devant tes yeux, ça aurait pu être moi. Pour d'autres porteurs d'écharpe, c'était moi. Tu as bien compris ce que ressentent certaines victimes d'agression chaque jour de leur vie d'après, d'ailleurs.

Et sincèrement, sur ce point je te remercie d'avoir accepté de faire un tel effort mental. Tes remords montrent qu'un jour, tu pourras peut-être déposer ton écharpe de plomb, ou du moins la rendre plus légère...

Tu n'es que le rappel de cet étrange paradoxe qui fait que tout le monde aimerait voir les méchants hors d'état de nuire et les victimes en sécurité et « réparées », mais surtout, sans s'impliquer trop soi-même dans des démarches tendant à aboutir à ce résultat.

On se rêve tous héros, mais face à une réalité dangereuse, nous ne sommes que des gens fragiles. Et beaucoup de choses nous poussent à en faire le moins possible, en fait. Ce qu'on appelle la culture du viol en fait partie. D'autres phénomènes psychologiques importants rentrent également en ligne de compte, hein, mais tu me pardonneras de prêcher pour ma paroisse ?

Tu as sans doute eu peur d'intervenir, peur pour ta propre sécurité, ou estimé que ça ne te regardait pas vraiment... que ce n'était pas toi le plus apte à stopper l'horreur en cours... qu'après tout cette femme n'avait qu'à dire non fermement à l'emmerdeur, et puis qu'elle était quand même vêtue de manière aguicheuse... et puis... et puis tu es parti loin de tout ça.

Il y a quelques mois, un sondage montrait que pas mal de gens estimaient que les femmes victimes de viols ou d'autres agressions sexuelles pouvaient avoir une responsabilité dans ce qui leur était arrivé.

C'est fatigant, de devoir sans cesse revenir là-dessus... mais bon, sur le métier, cent fois tu remettras l'ouvrage, hein ? Je reprends donc pour ceux du fond qui n'ont toujours pas compris :

  • Si ce qui arrive à d'autres sous vos yeux ne vous regarde pas, à quel moment êtes-vous concernés ? Quand le sang en vient à éclabousser vos blancs souliers ? Ou quand vous subissez très directement des coups ? J'imagine donc que je n'ai pas à appeler la police si un quidam vous roue de coups sur mon passage... Ah bah quoi, dans ce sens, ça vous arrange moins ? Quant à vos aptitudes à vous rendre utile... sans forcément vous jeter dans la bagarre, vous pouvez réagir face à un acte délictuel ou criminel : appeler des secours, crier pour effrayer la personne en cause, alerter d'autres gens alentours...
  • J'ai déjà évoqué ailleurs l'état de sidération dans laquelle une victime peut se trouver face à un agresseur. Mais au-delà de ça, si un non pouvait arrêter un homme qui de base n'en a rien à foutre de ton consentement, ce serait bien. Sauf que concrètement, ça n'arrive jamais. Tout comme dire non à quelqu'un qui veut vous tabasser a peu de chance d'aboutir à un résultat intéressant, en fait. Les mots ne sont que ça : des mots. Et le mot non entraîne souvent une bien étrange surdité.
  • Quant à la façon de se vêtir de la victime... il faudrait me dire quelle est la tenue idéale pour ne rien risquer : Un joli décolleté plongeant, testé, fail. Un pull informe et un pantalon de moto, testé, fail. Tee-shirt, pantalon de ville, fail. Robe d'été, fail. Tailleur chic et jupe, fail. A un moment, hormis une tenue de camouflage homologuée, je ne sais pas trop ce que je peux porter pour être légitime à refuser des gestes déplacés. A poil ?.. oui, non, je risque d'avoir froid !

Ce petit récapitulatif des prétextes foireux à l'inaction fait, revenons à toi, porteur d'écharpe.

Vu que tu as commencé le processus visant à réveiller ta conscience, j'aimerais que tu le poursuives, que tu détricotes avec moi, avec bien d'autres, cette écharpe de plomb monumentale que la société nous montre comme unique vêture possible. Romps ce silence complice qui t'étouffe toi aussi. Elève la voix, apprends à d'autres la leçon que tu as durement intégrée.

Tu n'as pas agi une fois, sois sur le pont le reste de ta vie. Et réduis à un silence coupable ceux qui oseront te dire « On ne peut rien contre les violences sexuelles », « elle l'a bien cherché » ou « ça ne me concerne pas ».


La culture du viol, cesse de la cultiver dans un champ de peur. Et un jour, j'espère que tu pourras déposer le lourd fardeau que tu t'es imposé dans une armoire. Je rêve même plus loin : un jour, j'espère que plus personne n'aura à l'enfiler.

mardi 9 août 2016

L'heure du thé -3


Ils te font envie, les macarons de l'image ? Eh bien je viens d'en faire une bonne fournée. Installe-toi, ta tasse de thé t'attend. Tu es de plus en plus réticent à venir à ma table, je me demande bien pourquoi. L'idée de me laisser ce petit espace virtuel de contrôle te répugnerait-elle ?

Aujourd'hui nous allons un peu nous attarder sur une autre de tes déplaisantes ritournelles. Je l'avais déjà un peu évoquée, mais pour avoir causé avec pas mal de monde (fort étonnamment en général de sexe masculin) j'ai vraiment l'impression qu'il est utile de développer en quoi ce que tu exprimes est gênant, voire dangereux.


« J'ai tout fait pour elle/je suis un gars bien, elle me doit bien une contrepartie ! Je vais arrêter d'être gentil pour la peine !»

Je ne sais pas comment t'annoncer ça avec tact, mais la vie ne marche pas exactement comme une lettre à la mère noël. C'est décevant, j'en conviens. Ce n'est pas parce que tu es bien sage pendant l'année que tu vas obtenir du sexe ou des sentiments amoureux en échange à la fin. Être gentil et poli, rendre service ou offrir le restaurant à quelqu'un ne t'ouvre aucun droit sinon celui au respect. Tu me concéderas que le respect n'implique pas de céder à tes avances, dis ?

Sois serviable et aimable si tes valeurs t'y poussent. Sois désagréable si tu as un caractère de cochon. Mais s'il est effectivement plus probable que tu séduises quelqu'un en ayant un comportement positif, malheureusement, ça n'a rien d'une équation mathématique. Tu n'as pas forcément envie de coucher avec tous ceux que tu apprécies, si ? Et ce, même si eux manifestent de l'intérêt pour toi ? Pourquoi en irait-il différemment de la personne sur qui tu as des vues ?

Ce qui me fait peur dans ton raisonnement, c'est tout ce qu'il implique : que tu es une personne agréable uniquement par intérêt égoïste et non parce que tu estimes que c'est une attitude normale et saine pour tout le monde. Au fond, si je pousse à peine un cran plus loin, ça veut juste dire que tu n'es gentil que pour obtenir ce que tu souhaites de la manière la moins compliquée possible. Tu essaies la méthode légale avant de forcer les choses en somme ?

Si je te suis, si tu n'espères plus une récompense pour ta bonne conduite, qui deviendras-tu ? Si tu n'as pas ton susucre quand tu fais le beau, tu mords ? A partir de quel degré de reconnaissance à tes bonnes œuvres renonces-tu à devenir méchant ? A partir de quel stade de frustration ai-je à craindre de toi ? Serais-tu une bête à peine dressée et conditionnée à réagir à certains stimuli ? Je préfère croire que tu es un être pensant et raisonnable, capable de discerner tes envies et besoins de ceux de tes congénères. Est-ce te faire trop d'honneur ?

Autre chose me turlupine dans tout ça. Si c'est par gratitude qu'une personne accepte une partie de jambes en l'air, est-ce vraiment un acte entre deux personnes sur un pied d'égalité ou juste l'un qui paie sa dette à l'autre ? On peut estimer que c'est une manière de te remercier et dans ce cas, libre à la personne d'agir comme elle le sent, mais un remerciement ne s'exige pas. A l'autre d'évaluer la forme et le degré de reconnaissance qu'elle te doit.
Tu te doutes bien que ce souci se pose d'autant plus fortement avec des sentiments amoureux liés aux mêmes facteurs.

Maintenant, si on inversait un peu les choses ? Si je comprends bien, pour toi amour et/ou sexe ne sont en quelque sorte que des objets de transaction. Donc n'importe qui peut aussi bien les attendre de toi pour peu qu'il se montre charmant en ta compagnie... Je serais fort curieuse de voir ta tête quand ton ami d'enfance Jean-Jacques te regardera un beau jour, les yeux remplis d'espoir, estimant qu'il t'a assez donné pour que tu lui offres ton cœur ou ton corps. Et Isabelle, cette autre amie qui t'a souvent entendu te plaindre de tes infortunes diverses, a-t-elle un quota à remplir avant d'exiger que tu te mettes à poil ? Ni l'un ni l'autre ne t'attirent, mais ça ne devrait pas te poser souci, selon tes principes, si ?

J'ai un peu l'impression que comme souvent, tu songes pas mal aux droits qui te sont ouverts, mais peu aux devoirs qu'ils impliquent en échange. J'aimerais, puisqu'on est sur ce terrain, te rappeler deux ou trois trucs en passant :

D'abord, si tu perçois les interactions humaines comme des relations plus ou moins contractuelles, je te signale que tu ne peux exiger de quelqu'un qu'il respecte un accord dont il n'a guère de moyens de connaître les tenants et aboutissants, puisque tu es celui qui les détermine unilatéralement. Si tu espères qu'un sourire à ta boulangère entraîne l'acquisition d'une baguette de pain, tu risques une déception : rien ne peut la porter à penser que ta bonne mine est un paiement suffisant pour ses miches. Ahem... passons.

Considérons un instant ton hypothèse, à savoir que les termes de l'échange « gentillesse-sexe » sont au moins intuitivement déduites par l'autre. Crois bien que ça m'écorche sacrément la plume et les neurones, mais il me semble une fois de plus utile de démontrer qu'en allant dans ton sens, ça ne marche pas vraiment non plus.

Ok, Truc ou Machin ne respecte pas sa part de l'engagement et c'est regrettable. Mais ça ne t'ouvre pas un laissez-passer pour le lui faire « regretter » au-delà d'une cessation des échanges entre vous. Je sais que je vais encore t'attrister, mais le recours pour non exécution d'une prestation sexuelle va être un peu dur à faire admettre en justice. Et tu n'as pas le droit de lui faire encourir des dommages en retour, sous peine de commettre à ton tour un acte illégal. Et il serait absurde d'étendre ton mécontentement au reste de la population qui t'attire : deux ou trois mauvaises expériences, voire même une dizaine, ne font pas une généralité ! A la limite, la seule leçon à en tirer c'est que ton postulat de base tient assez peu debout, si tu ne croises pas de gens prêts à le suivre ?

Tu sembles las, mon grand, écrasé par le poids de mon incompréhension de tes souffrances. Mais tout ce que tu subis, désillusions amoureuses ou sexuelles, tu te l'infliges en grande partie tout seul, parce que tu te centres tellement sur tes ressentis que tu t'empêches d'éprouver de l'empathie réelle envers les autres. Faire des actes positifs est une bonne chose : les faire par réelle affection ou parce que tu suis « ce que te dicte ton coeur », comme le dirait la littérature conséquente sur ce thème, ça me semble plus sain et fructueux. Ca place tout le monde sur un pied d'égalité.

Allez, sèche tes larmes et reprends un macaron, il reste plein de thé pour le faire passer...


Cette troisième heure du thé a bien tardé à sortir. Je ne m'en excuserai pas et me contenterai de vous dire que j'espère que le rythme de publication sera plus stable au fur et à mesure.Si tout se passe bien, d'ici un à deux jours, quelques articles viendront rééquilibrer le silence de ces derniers temps.

samedi 23 juillet 2016

Que faire si j'ai envie d'aller plus loin avec quelqu'un ? Mode d'emploi du non agresseur - 1

Ce chaton mignon peut devenir un prédateur


Comment agir si une personne vous attire et que vous souhaitez ses faveurs ? Ne comptez pas sur moi pour vous fournir des conseils de drague clé en main, déjà parce qu'il n'y a pas de recette miracle, ensuite et surtout parce que je n'ai pas la prétention de savoir ce que veulent les femmes, hommes, non binaires et ornithorynques. J'ai bien assez à faire avec mes propres désirs et envies.

En revanche, ce que je peux faire pour vous, c'est vous indiquer quelques règles importantes que vous devez impérativement suivre pour ne pas faire de votre demande (et de ses suites éventuelles) une oppression, voire une agression. Ces points ne sont en aucun cas négociables, pour le bien de tout le monde. Mieux vaut une déception ou une frustration qu'un drame.


I Règle d'or de la relation sexuelle : chercher le consentement explicite de l'autre.

La première des règles quand on a envie de partager une activité avec quelqu'un, c'est de s'assurer que ladite activité le tente, au moment où on veut la pratiquer. Logique ? Eh bien, visiblement, il y a des gens qui estiment que ça ne s'applique pas au sexe. Pourtant, ce domaine en particulier mériterait une attention particulière : on y partage l'intime et la gestion de risques non négligeables (grossesse, MST, IST...)

Se contenter d'un mouais, prendre un baiser léger comme un oui enthousiaste, sont des pièges facilement évitables si on s'en donne la peine. Je ne vous dis pas de signer un contrat en trois exemplaires en vue de pratiquer un coït, mais d'être attentif à ce que veut l'autre, et en cas de doute, de demander confirmation que tout est ok. Un geste de recul, même esquissé, doit vous alerter. Ça vous paraît barbant ? Pas de chance, je ne vais pas vous lâcher sur ce terrain : le respect et l'observation sont la base du sexe.


II On ne met pas la pression à l'autre pour obtenir ce qu'on veut, de quelconque façon que ce soit.

La personne que vous désirez semble mitigée ou hésitante ? Pas de chance, mais rien ne sert d'insister en évoquant vos propres envies ou « besoins1 ». C'est une autre façon, guère plus subtile, de nier que les désirs de la personne en face comptent autant que les vôtres. Personne n'est responsable de vos frustrations, et n'a à les gérer. Et obtenir une coucherie à force de demandes n'est pas une victoire, mais une défaite de votre partenaire par forfait.

Aucune justification ne tient : si on vous dit non, soyez gentil, considérez qu'il est inutile de retenter votre chance avant un moment, ou de la retenter tout court si on vous a opposé un refus définitif.

III La protection intime et la contraception s'envisagent entre tous les partenaires d'une relation sexuelle.

Vous vous imaginiez qu'avoir un préservatif dans votre poche suffisait à éteindre toute interrogation à e sujet, ou pire, vous laissiez l'entière gestion de ces questions à votre ou vos partenaires ? Raté ! Je sais qu'il est facile de se laisser emporter par l'ivresse d'une coucherie potentielle, mais les éventuelles conséquences d'un laisser-aller peuvent être au mieux très désagréables, au pire dramatiques.

Le confort et les spécificités de chacun est à prendre en compte. Un préservatif, masculin ou féminin peut être mal toléré par certain-es, pour d'autres la pilule contraceptive est tout simplement inadaptée... Bref, prenez le temps de discuter de tout ça afin de passer du bon temps en toute sécurité.


IV Si une pratique ou un geste déplaisent, quelles qu'ils soient, on ne l'impose pas.

J'ai l'air de vous décortiquer toutes les variantes de la première règle, pas vrai ? C'est un peu fait pour : je tiens à insister sur le fait qu'il n'y a aucune dérogation au principe de base « si gêne ou refus, on ne fait pas...

Ce qui peut paraître anodin pour quelqu'un ne le sera pas forcément pour un autre. On peut proposer des découvertes, des sensations, mais on doit se plier aux réticences de la ou du partenaire. Et même un simple effleurement peut gêner, ce n'est pas à vous de décider de l'importance à placer derrière un geste.

Par ailleurs, même si la coucherie est entamée, rien n'engage qui que ce soit à aller jusqu'au bout s'il ne se sent finalement pas à l'aise. On ne vous doit rien en la matière, rien, jamais. Même au sein d'un couple.


Ce court article est le premier d'une série parallèle à celle sur les aidants. J'étayerai davantage les suivants, promis !


1En passant, si vous ressentez un tel besoin urgent et irrépressible de sexe, outre la masturbation, qui peut vous soulager, je vous engage à envisager de consulter. Ce n'est pas une honte d'avoir des pulsions sexuelles dures à gérer, mais ce n'est pas à d'autres d'en faire les frais.


mercredi 20 juillet 2016

Aidants de victimes d'agression, mode d'emploi - 1




Attention à ce qu'il ne devienne pas Pyromane...

Depuis quelque temps tourne un petit mode d'emploi à l'usage des proches de victimes d'agression sexuelle. J'aimerais y ajouter et développer mes propres recommandations et observations, modeste complément à ce chouette travail. Cela se fera en plusieurs articles, histoire d'être plus digeste.


Va porter plainte ! Ou quand le bon sens apparent peut devenir une injonction méprisante.

Porter plainte pour viol ou agression est une lourde décision. Elle n'est ni si évidente qu'il semble, ni dépourvue de conséquences, potentielles comme inévitables, à peser soigneusement. Je suis vraiment désolée de briser une idée reçue tenace dans l'esprit de quelques personnes mais la justice française est un peu en sale état et lui faire une confiance aveugle est un pari hautement risqué. Et au-delà de ça, entamer une telle procédure requiert des forces qu'une victime n'a pas forcément en stock ou a envie de dépenser autrement.

Porter plainte, c'est d'abord accepter de devoir solliciter sa mémoire et, peut-être, revivre le traumatisme, pour pouvoir faire sa déposition à la police ou son courrier au procureur. Il faut être précis, rentrer dans les détails les plus sordides. Ça c'est l'écueil de base, mais il n'est pas rare que l'OPJ, quand c'est au commissariat que vous vous rendez, insiste sur des points assez peu pertinents mais qui ont de quoi vous mettre sacrément mal à l'aise : votre tenue vestimentaire lors des faits, votre vie sexuelle. Il arrive aussi que des remarques déplacées fusent, sur l'opportunité de sortir le soir quand on est une femme par exemple, ou le fait de ne pas vous être défendue.. Bref, un tas d'inepties qui n'ont pas lieu d'être et compliquent singulièrement l'épreuve du dépôt de plainte.

Ensuite, la procédure suit son cours, généralement au rythme de promenade d'un poulet borgne et unijambiste (quand elle ne s'interrompt pas prématurément à la suite d'un classement sans suite ou d'un non-lieu) Ce n'est pas forcément la faute des intervenants du milieu judiciaires, au passage : les tribunaux sont engorgés, la police est extrêmement sollicitée... bref, ça foire assez vite sans volonté de nuisance derrière. Alors imaginez quand la culture du viol s'en mêle ! Et non, ce n'est pas rare. Je ne vais pas vous citer des exemples en nombre dans cet article, bien des témoignages sont accessibles sur le sujet et il est probable que je m'étende là-dessus plus tard. Juste... je ne résiste pas à vous présenter la question que m'a posée le juge lors d'une audience de viol correctionnalisé où j'étais victime et partie civile1 : « Est-ce aussi grave de violer une personne handicapée qu'une personne normale? ». Voilà voilà !

Mais allons plus loin et imaginons un instant un monde où la justice fonctionne sans aucun heurt et est uniquement tenue par des gens bienveillants. Recourir à elle n'en serait pas pour autant une aimable promenade de santé. Se retrouver confronté à son agresseur, entendre ses excuses, ses mensonges, ou même ses aveux... ça demande pas mal de ressources. Et ces ressources, tout le monde ne les a pas ou ne souhaite pas les investir dans cette bataille-là. Sans compter que quelle que soit l'énergie qu'on met dans un combat judiciaire, on peut le perdre.
Tout ça pour dire que non, porter plainte n'est ni simple, ni une obligation morale. Et contrairement à ce qu'on entend parfois, ce n'est pas non plus le seul ou le meilleur passeport pour aller mieux. C'est un choix, avec ses conséquences, bénéfiques comme négatives.
Parce que oui, malgré tout ce que je viens de raconter, de bonnes choses peuvent découler d'une plainte. Cela peut officialiser son statut de victime d'un préjudice, lui apporter une protection ou briser le silence dans un groupe ou une famille dans lesquels peuvent sévir des bourreaux... je ne vais pas ici retracer toutes les bonnes raisons qu'on peut avoir de porter plainte puisque mon but aujourd'hui est de montrer que ce n'est pas toujours et pour tout le monde la voie à suivre, mais elles existent. Oserais-je radoter en disant que c'est à la personne concernée de voir ce qui lui semble le mieux pour elle ?

Que faire face à une victime qui se pose la question d'un dépôt de plainte ?
  • Respecter son espace de réflexion sur le sujet sans lui présenter d'injonctions ni lui imposer « ce qu'on ferait à sa place »
  • La rassurer sur le soutien qu'on lui apportera face aux difficultés qui surviendront lors de cette démarche
  • Lui présenter factuellement les étapes qui jalonneront son parcours.
  • Lui rappeler qu'elle est victime et a le droit de faire valoir ce statut.


« Pourquoi ne t'es tu pas défendue ? », la question qui fait mal...

Précisons d'abord que face à une agression sexuelle, tout le monde n'a pas l'entière maîtrise de ses émotions ou de son corps à disposition (euphémisme mon amour)

Le phénomène de sidération, vous connaissez ? Non ? Laissez-moi vous en toucher un mot : Il s'agit d'un état où cerveau et corps se mettent en grève face à une situation traumatisante, et font échec à toute possibilité d'y réagir par un mécanisme de défense adapté. Autrement dit, vous êtes juste incapable de réagir de manière appropriée à ce qui est en train de se dérouler, parce que le choc qu'encaisse votre esprit est juste trop fort. C'est un peu comparable à un coup de massue sur le crâne : rares sont ceux qui conservent tous leurs moyens après un tel assaut.

Les gens semblent souvent considérer le viol comme une agression essentiellement physique, un peu comme un tabassage d'un genre particulier. Mais si le droit a distingué cet acte comme un crime, c'est bien parce qu'il existe une dimension supplémentaire dans son exécution. Le viol, c'est avant tout l'effraction de la volonté d'autrui, la recherche d'un pouvoir sur la victime. Et la violence physique n'en est qu'une composante : la peur générée, les menaces, ou l'emprise psychologique sont d'autres moteurs au moins aussi importants en général. Et confrontée à ça, la victime peut se retrouver contrainte à subir plutôt que de risquer des dommages, corporels ou autres, plus graves.

Et puis, au fond, quelle est la vraie question : en admettant qu'une personne ait accès à toutes ses capacités au moment où elle s'est retrouvée confrontée à son agresseur, que doit-on mesurer pour valider son statut de victime ? Sa motivation à se débattre ? Son efficacité dans la défense ? N'est-on plus fondé à se plaindre si on n'a pas su trouver les bons gestes, la bonne parade ? Et de quel droit, n'ayant pas subi les faits, peut-on arbitrer ses réactions ?
Et non, avoir par le passé subi quelque chose de similaire ne donne pas licence pour estimer ce que la victime présente pouvait/devait faire lors de sa propre agression. Il n'est pas inutile de se rappeler que les forces et faiblesses diffèrent chez chaque personne et que deux situations, pour si ressemblantes qu'elles paraissent, ne peuvent être strictement identiques. Comme on dit, la critique est aisée, l'art difficile.

Que va ressentir une victime d'agression sexuelle face à des reproches sur ses réactions lors des faits ? Vous vous doutez bien que ce ne sera pas pris avec joie et bonne humeur. Elle a mal, et déjà on vient lui remettre a responsabilité de ce qui lui est arrivé entre les mains. Au final, on ne la prend pas en compte sinon pour lui faire sentir que le viol subi aurait pu être évité si elle avait fait « ce qu'il faut ». Or c'est assez instinctif de se culpabiliser allègrement après un viol. Le but d'une personne aidante est... d'aider. Non de renforcer ce mécanisme d'autodestruction.

Que faire face à une victime qui vous raconte ce qu'elle a subi ?
  • Respecter sa façon d'aborder le récit, ne pas la brusquer ni montrer d'impatience. C'est son histoire, sa façon de raconter.
  • Eviter les questions qui peuvent blesser, les conseils hors-sujet ou inapplicables, les « si ça avait été moi », etc... Si ça avait été vous, ce serait une autre situation, tout simplement. Et comme les faits sont passés, on ne peut hélas pas les réécrire.
  • Au contraire, rappeler à la victime que le seul coupable dans l'affaire est son agresseur, et que face à un événement aussi violent et traumatisant, on n'est pas tenu de réagir avec un sang-froid impeccable.


Je vous laisse pour le moment avec ce premier article d'une série qui sera sans doute un peu longue elle aussi... Avis, réflexions et questions bienvenus !


1 Pour ceux qui ne sont pas familiers avec certains termes du vocabulaire juridique : la correctionnalisation est le fait de déqualifier un crime en délit (ici le viol en « simple » agression sexuelle ) pour que les faits soient jugés en audience correctionnelle, au lieu d'atterrir aux assises. Je ferai un article sur les conséquences de ce charmant tour de passe-passe, un jour.
Quant à la partie civile d'un procès, souvent la victime directe elle-même, parfois ses proches ou des associations, il s'agit de la partie au procès qui est là pour demander réparation de l'acte jugé. Euh... suis-je claire ? Sinon, bah Google, tout ça...

L'heure du thé -2



Aujourd'hui, je te reçois avec des tartes au pommes, en lieu et place des cookies. J'ai cru remarquer la dernière fois que sur la fin, tu ne les supportais plus trop. Va savoir pourquoi... Assieds-toi et prends tes aises, parce qu'aujourd'hui, je vais sans doute encore plus te bousculer que lors de notre précédente rencontre.
On va discuter, ou plutôt tu vas sagement m'écouter sur une autre connerie récurrente dans ton discours. Ah, tu n'avais pas encore percuté ? Tu pensais vraiment qu'à un moment je te donnerais voie au chapitre sur mes terres ? Non. Reprends une part de tarte et rumine ta déception pendant que je t'offre une leçon particulièrement dure à retenir.

Elle portera sur cette idée merveilleuse que tu sers parfois avec tant de conviction que je me demande si ce n'est pas toi que tu tentes vainement de convaincre :  

 « Un non opposé à une demande de coucherie ou de relation amoureuse est aussi violent qu'une agression, voire peut justement transformer le plus respectueux des hommes en agresseur, surtout si cet homme a essuyé des refus de plusieurs femmes »

Bien, bien, bien...prenons les choses une par une, veux-tu ? J'aimerais préciser deux toutes petites bricoles en préambule : Quand je te dis non, ce n'est pas pour t'embêter. C'est que je n'ai pas envie de toi, comme ça et maintenant. Tu peux être le plus adorable des hommes à mes yeux, m'attirer sexuellement en d'autres moments, là, tout de suite, ça ne me tente simplement pas. C'est un peu comme si tu n'avais absolument pas faim, ni aucun accès de gourmandise et qu'on te proposait un gros gâteau. Dire non merci ferait-il de toi un vil personnage ?
Par ailleurs, je ne te dois rien. Qu'on soit amis de longue date, amants réguliers, qu'on vienne de faire connaissance autour d'un verre, je ne te dois rien. Même si on était en couple, je ne te devrais rien. En fait, si, laisse-moi corriger : je te dois du respect, tant que toi tu m'en manifestes. Mais entre te respecter et t'offrir une partie de jambes en l'air, je t'assure qu'il y a un monde ! Et quoi que tu sois pour moi, quoi que tu aies fait pour m'être agréable, rien au monde ne te donne un droit sur mon corps. Que tu te sois illusionné sur ce sujet me navre, crois-le bien, mais ça ne me regarde pas.

Ceci clarifié, rentrons dans le vif du sujet. Tu oses vraiment soutenir qu'un refus de relation sexuelle équivaut à une agression ? Alors laisse-moi élargir ton horizon, mon cher. Une frustration, une déception, de la colère., un coup à l'orgueil... voilà à peu près ce qu'on ressent face à un refus. Parfois, ça va jusqu'à une impression de trahison. Ce n'est vraiment pas agréable, je le conçois. Mais mon non est un mot. Qui peut te blesser, certes. Mais il n'est pas dirigé contre toi. Il est là pour m'épargner un moment qui, pour telle ou telle raison, me serait désagréable. A l'inverse, quand tu décides d'outrepasser ce souhait de ne pas aller plus loin, tu t'attaques à moi, physiquement.

Quand tu poses ta main sur moi après un non dans l'intention d'obtenir ce que toi tu veux malgré mon désaccord, tu passes un palier dans la violence. Tu signifies que tu te places au-dessus de moi dans la hiérarchie des avis à prendre en compte. Tu connais ma faiblesse musculaire, mon état de fatigue, mon handicap, mon passé. Et tu sais que je n'ai pas les moyens de te repousser. Quand tu écartes mes jambes que je replie au mieux pour que tu n'y aies pas accès, quand tu profites du fait que je tombe de sommeil ou que je suis percluse de douleur pour obtenir ce que tu veux, tu ne me dis pas simplement que mon refus n'a pas de valeur pour toi, tu me montres également que tu as tous les moyens de me contraindre et que tu vas les utiliser.

Mon non te frustre, ton viol me blesse mentalement et physiquement à des niveaux plus élevés. Ne serait-ce que pour cela, nos douleurs ne seraient déjà pas équivalentes. Mais poursuivons. Un viol a des séquelles, au-delà de l'acte en soi. Des séquelles psychologiques, mais aussi physiques, sociales... Pour la première séquelle psy, laisse moi te familiariser avec une amie que je côtoie depuis que tu as décidé que tu avais le droitd'abuser de moi.

Réminiscence, c'est une charmante copine qui m'invite souvent au cinéma. Et attention, hein, pas le simple grand écran standard, non, elle m'offre la séance grand luxe avec immersion totale dans le film... l'ennui, tu vois, avec Réminiscence, c'est qu'elle m'emmène toujours voir la même œuvre : la version longue de l'agression que tu m'as fait subir. Tes gestes, ton odeur, tes mots, la violence, la honte... tout me revient et m'atteint avec la même force qu'à ce moment-là. Je replonge avec délices horreur dans ces instants dramatiques. Tu te souviens de ce forçage violent de mon intimité, après avoir abattu mes maigres défenses ? De la douleur intense ressentie ? De la sensation d'avoir un corps étranger entrer en moi sans que je ne puisse rien pour l'évacuer ? Oh wait ! C'est moi qui revis ça, intégralement, à chaque visite de Réminiscence, pas toi. Tu es trop occupé devant ton propre drama de victime de mon non consentement.

Réminiscence est fidèle, mais elle a un petit défaut : elle a le chic pour débarquer n'importe quand dans ma petite vie : il suffit d'un rien pour qu'elle se sente obligée de rappliquer : une parole malheureuse entendue, un parfum qui me rappelle le tien... C'est un peu usant, tu vois. Et je t'en veux de nous avoir mises en relation. Réminiscence est arrivée dans ma vie accompagnée de ses camarades Insomnie et Cauchemar. Ces deux-là, je les croise chaque nuit. Quand l'une me lâche, l'autre se pointe. Inutile de te préciser que ce trio, quoique charmant, joue un peu sur mon humeur au quotidien, ainsi que sur ma santé.

Oh tiens, oui, embrayons sur une autre conséquence potentielle d'un viol : je ne vais pas t'infliger un cours de biologie, mais en général, tout à l'écoute de ton envie de te servir de moi, tu oublies des gestes élémentaires dans une relation sexuelle : contraception, protection contre les IST et MST... ce genre de broutilles. Et toi, passé ton moment de plaisir, tu as peu à te soucier des éventuelles lésions que tu m'as occasionnées en forçant mon intimité, ou d'une potentielle fécondation. C'est moi qui vais devoir gérer ça, aller chez un médecin, accepter des examens gynécologiques qui vont rajouter à mon traumatisme... Tu t'en fous royalement, toi, puisque tu ne risques rien. Et si je suis enceinte, c'est moi qui me retrouve placée devant cet intéressant choix de garder la grossesse ou non.

Tu n'as pas non plus à te placer devant cette évidence : le viol que tu m'as fait subir, tu peux l'imposer à d'autres. Et la seule arme que j'ai pour tenter d'éviter ça, c'est la plainte. Avec toutes ses conséquences. Dame Justice est farceuse et ne m'épargnera pas. En décidant de porter tes actes devant elle, je sais parfaitement que je devrai revivre les choses pour mieux les relater à la police, accepter des questions inquisitrices et malvenues, accepter des remarques déplacées... je sais que je devrai me battre contre toi, mais aussi contre une institution bien mal foutue. Je sais que si j'échoue, émotionnellement, je me reprocherai chaque atteinte que tu commettras envers d'autres.

Ne crois pas non plus qu'être plaignante en justice m'apportera compassion et estime des autres. Quoi que je décide, des gens plus ou moins bien intentionnés me diront ce que j'aurais dû faire lors de chacune des agressions, ou ce que j'aurais dû faire avant, ou ce que j'aurais dû faire ensuite... C'est fou ce que les gens ont d'idées, quand ils ne sont pas très directement concernés, tu ne trouves pas ? J'admire souvent leurs brillants esprits. C'est juste un peu bête que leurs conseils se heurtent si souvent à ma réalité, dans laquelle ils ne sont guère applicables. J'en recauserai, un jour, va. Mais une chose est certaine : l'auréole de victime, elle prend vite des coups.

Tu commences à réaliser, dis ? J'imagine bien que tu n'as pas envie de te confronter à tout ce qu'un bref moment de domination (enfin, bref, tout est relatif, fort étrangement j'ai trouvé le temps long, moi. Sans doute devais-je m'ennuyer...) a pu générer dans une autre vie que la tienne. Au fond, de quoi aurais-tu à te soucier ? Tu en es encore à digérer qu'une femme, à un moment, ait osé te dire non et à soigner ton Ego blessé.
Sinon, pour toi, des non cumulés, d'une ou plusieurs femmes, peuvent pousser le plus brave des hommes à devenir un agresseur... Dis-moi, juste pour rire, mon cher, en admettant (et crois bien que ça m'écorche le cœur, la gorge et les neurones) que cette affirmation soit exacte, pourquoi ce serait à la dernière femme qui t'a dit non de devenir à son tour victime du rejet que tu as subi, sous la forme d'un viol ? Non, ne t'en fais pas, la question est purement rhétorique, il ne faut pas te torturer à tenter de me répondre.
Poursuivons. N'as-tu pas l'impression de donner beaucoup de pouvoir à celles qui t'ont infligé un râteau ? Es-tu si faible et fragile que le manque de sexe te fasse te transformer en bête féroce ? Je comprendrais que ça t'aigrisse, voire que ça te fasse à la limite décider de ne plus te confronter à la gent féminine. Mais de là à estimer que tu as le droit de jeter aux orties loi et respect de base ?

Au final, je me rends compte que tu as à peine plus de respect pour ton libre arbitre que pour le mien. Si tu crois que n'importe qui peut entrer dans ton esprit et modifier ton sens moral et tes convictions à loisir, c'est que tu admets ne pas avoir la moindre emprise sur toi-même. As-tu d'ailleurs la moindre consistance ? C'est effrayant, non, dit comme ça ? Ah tiens, en passant, du coup, en quoi avais-tu le droit de m'imposer tes envies ? Non, même en allant dans ton sens, ça ne marche pas, je crois. Alors laisse-moi te donner mon avis sur la question : Essayer d'esquiver tes responsabilités en la reportant sur d'autres, c'est te placer comme enfant, soumis au flot des événements sans aucune possibilité de tracer ton chemin, de te créer ton idée un peu construite du bien et du mal.

Et au fond, quand tu trouves logique que des refus te conduisent à devenir un agresseur, tu agis comme un môme qui accuse un petit camarade d'avoir cassé le vase de mémé que tu as bousculé deux minutes auparavant avec ton ballon. Des frustrations en grand nombre, nous en subissons tous. Dans le travail, dans nos relations... mais pour la plupart des gens, il existe un mécanisme qui les retient de réagir par la brutalité et au mépris de tous leurs principes. Appelle ça conscience, maîtrise de soi ou magie si tu y tiens... mais pourquoi chez toi, ce bouclier anti-mauvaises actions est-il défaillant ? Je m'avance peut-être, mais il me semble que c'est toujours pour la même raison : parce qu'au fond ne t'importe que toi, uniquement toi. Contre le reste de l'univers ? Ou contre la réalité de tes actes ?



Cette nouvelle heure du thé a mis un peu de temps à arriver. L'article est plus long que le premier et je pense qu'il me fallait poser les bons mots sans tomber dans le larmoyant pour décrire les conséquences réelles et potentielles d'un viol et rappeler que ce n'est pas seulement un acte d'une poignée d'instants, mais également des blessures à long terme pour la victime. Je pense par ailleurs qu'il était nécessaire que j'explicite un peu plus dans ce texte que dans le précédent la notion de contrainte physique comme morale, qui est exercée lors d'un viol, afin de rappeler qu'il ne s'agit pas d'un simple combat de volonté, mais d'un déséquilibre de base entre une personne qui a les moyens de faire du mal et sa victime. Mon prochain article ne sera pas une heure du thé mais plutôt une réflexion sur une réaction que je constate souvent, venant de proches, et qui a fini de m'amuser pour me mettre sérieusement en rogne. Je crois que notre invité a laissé un peu de tarte aux pommes, qui en veut ?

L'heure du thé - 1




Dis voir, on se poserait là, tous les deux, autour d'un bon thé ? Je crois qu'il faut qu'on cause. Tiens, sers-toi en cookie, c'est gratuit.

Tu es polyforme, dans mon esprit et dans les faits, alors permets-moi de te présenter à nos aimables lecteurs. Tu es tous ceux, qui, un beau jour, chacun dans des circonstances différentes, ont pu snober un « non », un refus de relation sexuelle. On pourrait se demander pourquoi, du coup, tu les représentes à toi seul. Je me contenterais bien d'un « ta gueule, c'est mon heure du thé imaginaire !», mais ce serait un peu court, hein ?

Alors on va préciser mes raisons :
D'abord, tu es eux, mais au-delà, tu es surtout cette hydre qu'on appelle « culture du viol » ou « logique foireuse mais répandue qui banalise des actes délictueux ou criminels ». Ou du moins, tu représente une partie de ma vision de cette hydre-là. Et de mes agresseurs quels qu'ils soient, il y a des mots récurrents, des réflexions communes, des gestes qui se ressemblent tellement... alors, comme j'ai la flemme de tous les inviter au goûter et que je n'ai pas non plus une réserve de cookies virtuels inépuisable, tu vas leur donner une forme commune, une sorte de moyenne de leurs aspects et de leurs personnalités.

La seconde raison est plus personnelle, une petite exception à ma rationalité : quand mon tout premier agresseur, dont dans mon esprit tu as gardé le regard et la chevelure, m'a violée, il m'a dit que l'entité noire qui le contrôlait, soi-disant, me pourchasserait d'année en année, toute ma vie. Cette entité, il lui avait donné un nom : Link.
Disons-le tout de suite, je ne crois pas à un démon qui aurait pour unique but de me pourrir la vie. Je n'y croirais pas davantage s'il avait pour unique but de cultiver son jardin, en fait. Je me considère comme relativement lucide. Mais ce petit discours m'a marquée et parfois, au vu de toutes mes mésaventures, je me suis demandé si Link, ce n'était pas au fond l'incarnation absolue du triomphe de la bêtise, une sorte de monstre qui n'existe que parce que les humains le nourrissent... Alors, autant m'adresser à ce personnage, parce qu'on a un différend à régler lui et moi... enfin, toi et moi !


Bref, je m'étale, je m'étale... et tu attends que je te serve une tasse d'Earl Grey. Quelle mauvaise hôtesse je fais ! Bon, en même temps, en vrai, ton bien-être, je m'en contrefous. Sans rancune, hein ? Ton confort satisfait, je compte bien le bousculer. Que tu me le permettes ou non, on va revenir ensemble sur quelques bonnes blagues que je t'entends régulièrement sortir. Et crois-moi, tu n'est clairement pas un bon humoriste.
Comme tu me fatigues un peu, et que te supporter en tant que convive à ma petite dînette n'est pas... ma tasse de thé, on va se concentrer sur un thème par article pour le moment. Et pour cette fois ce sera :


« Je ne te ferai jamais de mal, moi ! Je ne suis pas un agresseur»

C'est marrant hein, comme tu peux répéter à l'envie ce mantra, comme te persuader toi-même. A partir de quand dois-je te dire à quel point tu t'illusionnes sur cet homme bien que tu crois sincèrement être ? Parce qu'en plus, je suis convaincue que tu n'as pas l'impression de mentir en disant ça. Pourtant, au minimum tu te trompes, au pire, tu as posé un épais bandeau opaque sur tes yeux pour être certains de ne pas te voir dans un miroir non déformant.
Tu penses que la violence ne peut être que physique, à base de baffes et de couteau sur la gorge ?

Ta première violence, mon cher, tu me la sers quand tu me demandes « pourquoi je suis allée chez cet ami, toute seule, un soir ? » tout en oubliant qu'au moment même où on discute, je suis chez toi, seule. Est-ce à dire que tu sens confusément que tu es un potentiel agresseur toi aussi ? Et donc, ce serait à moi de me méfier et de prendre d'infinies précautions pour me garder de tes griffes au cas où tu serais impuissant à te retenir de les sortir ?
Donc, au fond, si je pousse le raisonnement derrière tes mots, trois options m'apparaissent :
Soit l'homme est par essence fragile à la tentation de devenir agresseur, et, un peu comme un loup-garou à l'approche de la pleine lune, devrait lutter de toutes ses forces contre sa transformation en monstre, soit l'homme est par essence mauvais et le dissimule simplement plus ou moins bien face aux autres, soit enfin c'est un peu un genre de loterie, un jeu de hasard, qui que j'aille voir, il y a une probabilité que le simple hasard transforme l'ami que je vais voir en être féroce.

Quelle que soit l'hypothèse retenue, ce serait, dans ton idée, à moi de tout faire pour me protéger, puisque mon potentiel agresseur n'aurait soit pas la capacité, soit aucun intérêt à ne pas devenir mon bourreau. Mouais... mais non. Définitivement... NON.

Tu en fais ce que tu veux, hein, mais si dans la loi, ce n'est pas la victime d'agression qui est passible de pas mal d'années de prison, mais l'agresseur, c'est peut-être parce que ces deux rôles ne sont pas interchangeables à loisir, et que la responsabilité de l'acte commis n'est pas là où tu essaies de la placer ?

Il faut que je t'explique autre chose, mon grand. Et je sais que tu ne vas pas aimer ça non plus, alors blinde-toi en cookies. Je t'assure, ils sont délicieux, assaisonnés à la mort au rats !
Une caresse, si douce et légère soit-elle, donnée sans l'accord de la personne à qui tu la fais, peut blesser avec autant de force qu'un coup de poing. Quand tu choisis d'ignorer des signaux de détresse (corps qui se raidit ou devient mou comme une poupée de chiffons, regard écarquillés, mains qui repoussent, pâleur, larmes, etc...) , peu importe quelle forme prennent tes gestes ils deviennent une intolérable violence. Bien entendu, si tu donnes des coups, m'écartes les jambes brutalement ou autres joyeusetés, ça rajoute une dimension à l'horreur que tu crées, mais l'usage de la force physique n'est que ça : le « petit » plus qui marquera la chair autant que l'âme...

Une chose que tu refuses de prendre en compte, c'est que pour être agresseur, il ne faut pas nécessairement vouloir nuire à quelqu'un. Il suffit juste de se foutre complètement de ce qu'il ressent et estimer que satisfaire ses propres envies vaut largement de sacrifier le bien-être de l'autre en face. Je te crois quand tu me dis que tu n'avais pas l'intention, que tu n'as pas compris, que... je te crois, mais je vais rajouter une chose : tu n'as pas compris parce qu'au fond, comprendre mon état d'esprit t'importait peu face à tes propres désirs.

Attention, je ne dis pas que chaque maladresse peut te ranger dans la case agresseur : si tu avais interrompu ton mouvement sitôt repéré un signe d'inconfort, si, une fois des mots posés sur ma souffrance, tu n'avais pas cherché à te défendre d'avoir fait quelque chose de problématique avant que ne te vienne l'idée pas si saugrenue de prendre soin de moi, si tu avais pris le temps de me rassurer et de me faire sortir de ma terreur, quitte à assumer pleinement les retombées désagréables, tu ne serais pas agresseur ou du moins, dans le cas d'une réaction bienveillante tardive, ce statut serait atténué par tes tentatives de réparer les dégâts.

Ce qui fait de toi mon agresseur, c'est que tu cherches à te protéger des conséquences de tes erreurs au prix d'une assez grosse dissonance cognitive... et de ma douleur. Cher monstre aux multiples visages, que ton avatar s'appelle Rom, Pierre, Eric, Mehdi, Mikaël (je vais pas tous les citer, hein, flemme), qu'on ait été amis, amants, simples connaissances, personnes croisées au détour d'un arrêt de bus, tu as toujours eu ce procédé indigne, qui te classe dans la catégorie des agresseurs, que tu l'acceptes ou non.

Les cookies que je t'ai servis, tu sais ce qu'ils représentent dans ma petite mise en scène stylistique, dis ?
Ce sont ceux que tu réclames chaque jour en proclamant à tout le monde comme tu es un brave type, que tu es contre les vilains et protecteur des gens vulnérables1.
Ce sont ceux que tu réclames en répétant à une autre femme que toi, tu n'es pas ainsi, que tu ne ferais jamais de mal à une mouche.
Ce sont ceux que tu espères trop souvent en récompense pour avoir eu un comportement tout simplement décent et humain.
Je te rassure, je n'y ai pas mis d'arsenic, en fait... nous allons continuer nos discussions autour d'une tasse de thé, en gens civilisés. Ou plutôt, tu vas te taire et, pour une fois, me laisser parler. Non. Chut. N'essaie même pas d'en placer une.

Chez moi, les cookies ne sont pas une récompense. Ils te semblent amers et un peu salés. Normal, mon cher : j'y ai versé colère et larmes. Tu manges ce que tu m'as donné comme ingrédients.



Cette heure du thé n'est que la première d'une série, dont je ne sais pas encore de combien d'articles elle sera constituée. Comme expliqué à mon invité, j'y aborderai ces choses que j'ai trop entendues et qui tissent, lentement mais sûrement, un piège pour les victimes d'agression. Ce sera souvent dur à lire. Je présente mes excuses aux personnes ayant été victimes d'agression qui seraient atteintes par mes mots. Pour les personnes qui font du mal et s'en défendent, si elles passent par là... consolez-vous : c'est aussi bien dur à écrire.


1Définition des cookies dans le vocabulaire féministe : les cookies, c'est le cadeau attendu et recherché par une personne en position privilégiée pour avoir eu un comportement humain et normal.