dimanche 21 août 2016

Intermède musical... où l'on parle quand même de la culture du viol

Complice par le silence, Mr Yéyé, version a capella



Et la foule, tête baissée, enfile son écharpe de plomb, complice par le silence...

Cette chanson me serre le cœur. Oh, je n'ai guère de tendresse pour son narrateur

(Au contraire de l'artiste qui a créé et interprété cette œuvre avec talent et justesse. Non, vraiment, allez écouter Mr Yéyé, il mérite largement son succès, et bien plus encore) Ce personnage qui se lamente parce qu'il a des remords d'avoir laissé une agression sexuelle se dérouler devant lui, je lui voue plutôt un mélange de colère, de rage impuissante, de lassitude... et de pitié.

J'aimerais lui adresser un message, à ce type. Seulement, vous m'en excuserez, mais je vais éviter de le faire en chanson, pour le bien de vos oreilles !

Cher porteur d'écharpe de plomb, tu sais que ce que tu as fait ce jour-là, détourner les yeux et fuir, est mal. Ne compte surtout pas sur moi pour t'absoudre, tu risquerais d'être déçu. Les conséquences de tes actes sont là et la femme violentée devant tes yeux, ça aurait pu être moi. Pour d'autres porteurs d'écharpe, c'était moi. Tu as bien compris ce que ressentent certaines victimes d'agression chaque jour de leur vie d'après, d'ailleurs.

Et sincèrement, sur ce point je te remercie d'avoir accepté de faire un tel effort mental. Tes remords montrent qu'un jour, tu pourras peut-être déposer ton écharpe de plomb, ou du moins la rendre plus légère...

Tu n'es que le rappel de cet étrange paradoxe qui fait que tout le monde aimerait voir les méchants hors d'état de nuire et les victimes en sécurité et « réparées », mais surtout, sans s'impliquer trop soi-même dans des démarches tendant à aboutir à ce résultat.

On se rêve tous héros, mais face à une réalité dangereuse, nous ne sommes que des gens fragiles. Et beaucoup de choses nous poussent à en faire le moins possible, en fait. Ce qu'on appelle la culture du viol en fait partie. D'autres phénomènes psychologiques importants rentrent également en ligne de compte, hein, mais tu me pardonneras de prêcher pour ma paroisse ?

Tu as sans doute eu peur d'intervenir, peur pour ta propre sécurité, ou estimé que ça ne te regardait pas vraiment... que ce n'était pas toi le plus apte à stopper l'horreur en cours... qu'après tout cette femme n'avait qu'à dire non fermement à l'emmerdeur, et puis qu'elle était quand même vêtue de manière aguicheuse... et puis... et puis tu es parti loin de tout ça.

Il y a quelques mois, un sondage montrait que pas mal de gens estimaient que les femmes victimes de viols ou d'autres agressions sexuelles pouvaient avoir une responsabilité dans ce qui leur était arrivé.

C'est fatigant, de devoir sans cesse revenir là-dessus... mais bon, sur le métier, cent fois tu remettras l'ouvrage, hein ? Je reprends donc pour ceux du fond qui n'ont toujours pas compris :

  • Si ce qui arrive à d'autres sous vos yeux ne vous regarde pas, à quel moment êtes-vous concernés ? Quand le sang en vient à éclabousser vos blancs souliers ? Ou quand vous subissez très directement des coups ? J'imagine donc que je n'ai pas à appeler la police si un quidam vous roue de coups sur mon passage... Ah bah quoi, dans ce sens, ça vous arrange moins ? Quant à vos aptitudes à vous rendre utile... sans forcément vous jeter dans la bagarre, vous pouvez réagir face à un acte délictuel ou criminel : appeler des secours, crier pour effrayer la personne en cause, alerter d'autres gens alentours...
  • J'ai déjà évoqué ailleurs l'état de sidération dans laquelle une victime peut se trouver face à un agresseur. Mais au-delà de ça, si un non pouvait arrêter un homme qui de base n'en a rien à foutre de ton consentement, ce serait bien. Sauf que concrètement, ça n'arrive jamais. Tout comme dire non à quelqu'un qui veut vous tabasser a peu de chance d'aboutir à un résultat intéressant, en fait. Les mots ne sont que ça : des mots. Et le mot non entraîne souvent une bien étrange surdité.
  • Quant à la façon de se vêtir de la victime... il faudrait me dire quelle est la tenue idéale pour ne rien risquer : Un joli décolleté plongeant, testé, fail. Un pull informe et un pantalon de moto, testé, fail. Tee-shirt, pantalon de ville, fail. Robe d'été, fail. Tailleur chic et jupe, fail. A un moment, hormis une tenue de camouflage homologuée, je ne sais pas trop ce que je peux porter pour être légitime à refuser des gestes déplacés. A poil ?.. oui, non, je risque d'avoir froid !

Ce petit récapitulatif des prétextes foireux à l'inaction fait, revenons à toi, porteur d'écharpe.

Vu que tu as commencé le processus visant à réveiller ta conscience, j'aimerais que tu le poursuives, que tu détricotes avec moi, avec bien d'autres, cette écharpe de plomb monumentale que la société nous montre comme unique vêture possible. Romps ce silence complice qui t'étouffe toi aussi. Elève la voix, apprends à d'autres la leçon que tu as durement intégrée.

Tu n'as pas agi une fois, sois sur le pont le reste de ta vie. Et réduis à un silence coupable ceux qui oseront te dire « On ne peut rien contre les violences sexuelles », « elle l'a bien cherché » ou « ça ne me concerne pas ».


La culture du viol, cesse de la cultiver dans un champ de peur. Et un jour, j'espère que tu pourras déposer le lourd fardeau que tu t'es imposé dans une armoire. Je rêve même plus loin : un jour, j'espère que plus personne n'aura à l'enfiler.

mardi 9 août 2016

L'heure du thé -3


Ils te font envie, les macarons de l'image ? Eh bien je viens d'en faire une bonne fournée. Installe-toi, ta tasse de thé t'attend. Tu es de plus en plus réticent à venir à ma table, je me demande bien pourquoi. L'idée de me laisser ce petit espace virtuel de contrôle te répugnerait-elle ?

Aujourd'hui nous allons un peu nous attarder sur une autre de tes déplaisantes ritournelles. Je l'avais déjà un peu évoquée, mais pour avoir causé avec pas mal de monde (fort étonnamment en général de sexe masculin) j'ai vraiment l'impression qu'il est utile de développer en quoi ce que tu exprimes est gênant, voire dangereux.


« J'ai tout fait pour elle/je suis un gars bien, elle me doit bien une contrepartie ! Je vais arrêter d'être gentil pour la peine !»

Je ne sais pas comment t'annoncer ça avec tact, mais la vie ne marche pas exactement comme une lettre à la mère noël. C'est décevant, j'en conviens. Ce n'est pas parce que tu es bien sage pendant l'année que tu vas obtenir du sexe ou des sentiments amoureux en échange à la fin. Être gentil et poli, rendre service ou offrir le restaurant à quelqu'un ne t'ouvre aucun droit sinon celui au respect. Tu me concéderas que le respect n'implique pas de céder à tes avances, dis ?

Sois serviable et aimable si tes valeurs t'y poussent. Sois désagréable si tu as un caractère de cochon. Mais s'il est effectivement plus probable que tu séduises quelqu'un en ayant un comportement positif, malheureusement, ça n'a rien d'une équation mathématique. Tu n'as pas forcément envie de coucher avec tous ceux que tu apprécies, si ? Et ce, même si eux manifestent de l'intérêt pour toi ? Pourquoi en irait-il différemment de la personne sur qui tu as des vues ?

Ce qui me fait peur dans ton raisonnement, c'est tout ce qu'il implique : que tu es une personne agréable uniquement par intérêt égoïste et non parce que tu estimes que c'est une attitude normale et saine pour tout le monde. Au fond, si je pousse à peine un cran plus loin, ça veut juste dire que tu n'es gentil que pour obtenir ce que tu souhaites de la manière la moins compliquée possible. Tu essaies la méthode légale avant de forcer les choses en somme ?

Si je te suis, si tu n'espères plus une récompense pour ta bonne conduite, qui deviendras-tu ? Si tu n'as pas ton susucre quand tu fais le beau, tu mords ? A partir de quel degré de reconnaissance à tes bonnes œuvres renonces-tu à devenir méchant ? A partir de quel stade de frustration ai-je à craindre de toi ? Serais-tu une bête à peine dressée et conditionnée à réagir à certains stimuli ? Je préfère croire que tu es un être pensant et raisonnable, capable de discerner tes envies et besoins de ceux de tes congénères. Est-ce te faire trop d'honneur ?

Autre chose me turlupine dans tout ça. Si c'est par gratitude qu'une personne accepte une partie de jambes en l'air, est-ce vraiment un acte entre deux personnes sur un pied d'égalité ou juste l'un qui paie sa dette à l'autre ? On peut estimer que c'est une manière de te remercier et dans ce cas, libre à la personne d'agir comme elle le sent, mais un remerciement ne s'exige pas. A l'autre d'évaluer la forme et le degré de reconnaissance qu'elle te doit.
Tu te doutes bien que ce souci se pose d'autant plus fortement avec des sentiments amoureux liés aux mêmes facteurs.

Maintenant, si on inversait un peu les choses ? Si je comprends bien, pour toi amour et/ou sexe ne sont en quelque sorte que des objets de transaction. Donc n'importe qui peut aussi bien les attendre de toi pour peu qu'il se montre charmant en ta compagnie... Je serais fort curieuse de voir ta tête quand ton ami d'enfance Jean-Jacques te regardera un beau jour, les yeux remplis d'espoir, estimant qu'il t'a assez donné pour que tu lui offres ton cœur ou ton corps. Et Isabelle, cette autre amie qui t'a souvent entendu te plaindre de tes infortunes diverses, a-t-elle un quota à remplir avant d'exiger que tu te mettes à poil ? Ni l'un ni l'autre ne t'attirent, mais ça ne devrait pas te poser souci, selon tes principes, si ?

J'ai un peu l'impression que comme souvent, tu songes pas mal aux droits qui te sont ouverts, mais peu aux devoirs qu'ils impliquent en échange. J'aimerais, puisqu'on est sur ce terrain, te rappeler deux ou trois trucs en passant :

D'abord, si tu perçois les interactions humaines comme des relations plus ou moins contractuelles, je te signale que tu ne peux exiger de quelqu'un qu'il respecte un accord dont il n'a guère de moyens de connaître les tenants et aboutissants, puisque tu es celui qui les détermine unilatéralement. Si tu espères qu'un sourire à ta boulangère entraîne l'acquisition d'une baguette de pain, tu risques une déception : rien ne peut la porter à penser que ta bonne mine est un paiement suffisant pour ses miches. Ahem... passons.

Considérons un instant ton hypothèse, à savoir que les termes de l'échange « gentillesse-sexe » sont au moins intuitivement déduites par l'autre. Crois bien que ça m'écorche sacrément la plume et les neurones, mais il me semble une fois de plus utile de démontrer qu'en allant dans ton sens, ça ne marche pas vraiment non plus.

Ok, Truc ou Machin ne respecte pas sa part de l'engagement et c'est regrettable. Mais ça ne t'ouvre pas un laissez-passer pour le lui faire « regretter » au-delà d'une cessation des échanges entre vous. Je sais que je vais encore t'attrister, mais le recours pour non exécution d'une prestation sexuelle va être un peu dur à faire admettre en justice. Et tu n'as pas le droit de lui faire encourir des dommages en retour, sous peine de commettre à ton tour un acte illégal. Et il serait absurde d'étendre ton mécontentement au reste de la population qui t'attire : deux ou trois mauvaises expériences, voire même une dizaine, ne font pas une généralité ! A la limite, la seule leçon à en tirer c'est que ton postulat de base tient assez peu debout, si tu ne croises pas de gens prêts à le suivre ?

Tu sembles las, mon grand, écrasé par le poids de mon incompréhension de tes souffrances. Mais tout ce que tu subis, désillusions amoureuses ou sexuelles, tu te l'infliges en grande partie tout seul, parce que tu te centres tellement sur tes ressentis que tu t'empêches d'éprouver de l'empathie réelle envers les autres. Faire des actes positifs est une bonne chose : les faire par réelle affection ou parce que tu suis « ce que te dicte ton coeur », comme le dirait la littérature conséquente sur ce thème, ça me semble plus sain et fructueux. Ca place tout le monde sur un pied d'égalité.

Allez, sèche tes larmes et reprends un macaron, il reste plein de thé pour le faire passer...


Cette troisième heure du thé a bien tardé à sortir. Je ne m'en excuserai pas et me contenterai de vous dire que j'espère que le rythme de publication sera plus stable au fur et à mesure.Si tout se passe bien, d'ici un à deux jours, quelques articles viendront rééquilibrer le silence de ces derniers temps.