dimanche 1 octobre 2017

Dies irae, dénonciation

Je dépoussière un peu ici et cette fois, je vais abandonner un peu le ton léger que j'adopte d'habitude. Cet article sera très long et pas illustré. Et je ne vais pas m'adresser à une entité mais à des personnes réelles. La loi m'empêche théoriquement de nommer le violeur que je vais mettre en cause dans cet article. Eh bien, pour une fois, j'assume le risque d'être poursuivie en justice et je vous explique pourquoi :

Ma plainte pour viol déposée en 2015 a été classée sans suites pour manque de preuves il y a à peine quelques jours. On me dira qu'en soi, le procureur a bien le droit de prendre la décision qu'il veut au regard des éléments qu'il a.
Certes mais en l'occurrence, plusieurs choses me chiffonnent un poil :

Déjà, les éléments, on les a tous en stock depuis bien longtemps, du moins ceux qu'on a bien voulu prendre en considération, j'y reviens dans trente secondes. Ma déposition n'a jamais varié, les témoins et autres victimes se sont présentées assez rapidement... Ce long délai avant d'obtenir une réponse du parquet est donc intolérable, d'autant que les deux avocates qui m'ont soutenue lors de l'enquête préliminaire ont sollicité à plusieurs reprises le procureur sans aucun retour. J'entends parfaitement les graves manques de moyens tant humains que financiers des services judiciaires et de police, mais laisser les choses en suspens dans une procédure criminelle est problématique en soi.

Ensuite, parler d'un manque de preuves en matière de viol, c'est déjà souvent délicat (plainte une semaine après les faits, va rechercher de l'ADN ou autres ! ) mais quand une confrontation prévue et ayant fait déplacer la victime gavée de morphine pour des douleurs chroniques de 200 bornes, est annulée à la dernière minute parce que ladite victime voudrait le soutien d'un avocat lors de la mise en présence de son agresseur, disons que c'est encore un peu plus gonflé.

Entendons-nous bien : handicapée, j'ai fait Caen-Paris pour me présenter à cette confrontation. Quand on m'a signalé que ma demande de soutien ne pouvait être satisfaite ce soir-là pour des raisons techniques, mais que si je me rendais disponible à une autre date la confrontation restait possible, j'ai accepté de revenir. 30 minutes plus tard, sans m'expliquer pourquoi la donne avait changé, l'OPJ m'a dit que la procédure serait envoyée telle quelle au procureur et la confrontation définitivement annulée.

Enfin, quand on a des traces écrites d'un auteur qui reconnaît une part des faits, plusieurs victimes, etc... je ne dis pas que ça suffit pour déclencher un procès en place publique sur le champ, mais une instruction me paraît vaguement opportune.

Dernière remarque sur cette bien longue enquête préliminaire : j'ai eu droit à tous les poncifs de la culture du viol lors de mes auditions : ma tenue vestimentaire, mon comportement aguicheur, mon côté marginal (bah oui, j'aime les univers fantastiques et les festivals med-fan...). On a à plusieurs reprises minimisé les faits et la responsabilité de mon agresseur (il n'a pas l'air si méchant, vous êtes venue seule chez lui...) La procédure a été coûteuse pour moi à bien des titres : en santé, en temps, en argent. A plusieurs reprises j'ai été éloignée de ma fille et de mon mari durant des jours pour gérer des convocations. A plusieurs reprises j'ai mis ma santé en jeu.

Bref, aujourd'hui, je décide donc de t'interpeller directement, Mehdi. Tu es un illustrateur de talent et un homme assez intelligent. Voire même sensible à ta manière. 

Si je te dénonce nommément aujourd'hui, ce n'est pas par vengeance je crois. Enfin, je ne vais pas faire la naïve hein ! Oui je te garde colère et dégoût et non, je ne pleurerai pas sur ton sort si tu es malmené un jour. Mais tu es aussi malgré toi le symbole d'une justice bien défaillante, qui a tendance à oublier de te faire prendre conscience de la gravité de tes actes.
Ne te réjouis pas de ce classement d'affaire, il me reste des recours et je vais porter directement plainte auprès du doyen des juges d'instruction.
Mais avant cette étape, laisse-moi te raconter quelques petites choses, deux trois broutilles dont tu es à l'origine. Enfin, ne te chargeons pas trop : tu as ta grosse part de responsabilités, mais ce procureur et d'autres agresseurs passés aussi. Tu es un rouage, mais sans ce rouage, sans cette dernière tentative de croire en la justice, aujourd'hui je ne serais pas entière, soit, mais bien moins abîmée. Sans tes actes, mes reviviscences seraient un peu moins violentes, un peu moins longues chaque jour, chaque nuit.

Mehdi, pendant que tu te victimises, tu poursuis assez peinard de ce que je sais, tes études dans l'art (vraiment, continue, tu as un sacré talent. Tu es une ordure mais ça je peux pas te le retirer !) Je vais pas te mentir, moi aussi je continue ma vie, mais c'est un chouïa plus compliqué : chaque nuit, tu t'invites avec d'autres dans ma chambre.
Je revis tes mains qui écartent mes cuisses avec violence au moment où je les serre au maximum. Je revis la peur. Le « non, pas encore » affolé qui me tétanise. La douleur. Je revis tout ça mais aussi les questions à la limite de la décence de l'OPJ quand j'ai porté plainte, les heures à attendre un examen gynéco.
Ce ne sont certes que quelques scènes au milieu d'autres du passé tout aussi traumatisantes. Mais elles y ont leur part. TU as ta part de responsabilité dans mon état actuel. Tu es le seul qui me fait trembler dès que je prends le métro ou le RER sur la ligne vers Villejuif. Tu es celui à cause de qui je renonce définitivement aux Geek Faeries. Ce n'est pas grand chose me diras-tu, je ne suis plus francilienne et on vit fort bien sans se rendre à un festival med-fan. Oui mais quand c'est la peur qui dicte le refus d'aller dans certains lieux, une peur liée à des souvenirs que tu as générés, il y a un petit souci non ?
Tu as ta responsabilité parce que tu es en fond dans toutes mes relations sexuelles consenties. Parce que dire « oui » une fois, tu m'as appris que pour des types comme toi, ça veut dire « je suis non stop à ta disposition », même si je signale que ce n'est pas l'envie du jour. Tu m'as fait comprendre que je ne peux me défendre contre la force brute, qu'on pouvait « forcer le passage ».

J'arrête là, ton égocentrisme voudrait que je me concentre sur ton sort ? Ce jour-là tu m'as laissé entrevoir que je n'étais pas ta seule victime (ce qui a été confirmé par la suite). Tu t'es appesanti sur TA douleur d'homme incapable de communiquer avec « les femmes ». Et si j'avais été enceinte de tes actes, qu'aurais-tu subi, que serais-tu devenu ? Toi. Toi. Toi.

Alors oui, parlons un instant de toi. Des amis te soutiennent, ne veulent pas croire que tu as violé. Tu t'éclates en tant qu'artiste. As-tu seulement des pensées de temps à autre pour ce que tu as commis, pour celles que tu as amochées ? Je ne te voue pas de haine mais du mépris, du dégoût, oui, je t'en réserve à la pelle. De la peur aussi, tu l'as compris. Tu es un homme imposant, Mehdi. Et tant que tu ne prendras pas conscience de ta capacité réelle de nuisance, de ta force physique et de tes aveuglements, tu continueras à faire du mal. Et ce n'est pas ta surprenante délicatesse quand tu manies tes crayons qui compense ta monstruosité quand tu zappes le consentement d'une femme. Ce n'est pas parce que ce n'est pas « ce que tu as voulu » que ce n'est pas « ce que tu as fait ». Si tu arrives un jour à comprendre ça, réellement, intimement, alors tu redeviendras un être humain potable.

T'interpeller directement a un peu brisé mon explication sur le pourquoi de cet article un peu risqué pour moi à deux titres.

Déjà, actuellement, même si je forme recours contre le classement sans suite de ma plainte, tu es présumé innocent. Et tu aurais le droit de m'attaquer pour calomnie. Ne te prive surtout pas de découvrir les joies d'une procédure judiciaire, j'accepte même volontiers d'être condamnée. Je ne me déroberai pas, je ne mentirai pas : oui, actuellement, je suis hors des clous de la loi avec mon article. Mais je l'estime nécessaire. S'il faut payer pour l'avoir publié, soit.

Tes soutiens, ou des gens inconnus, pourraient très bien me harceler sur Internet après m'avoir lue. Insultes, accusations de mensonge, reproches d'appel au lynchage, tout est possible. Tiendrai-je face à ce genre d'ouragan ? Honnêtement je ne sais pas. Déjà très affaiblie, ça peut m'anéantir. Mais je prends mes responsabilités : je suis maman et bientôt je le serai doublement. Je refuse de dire à mes filles que dans ce monde, dans notre pays développé et « éclairé », il n'y a pas moyen de lutter contre tous les Mehdi Verniziau qui pourraient s'en prendre à elles. Alors je grille mes dernières cartouches, à mes risques et périls.

Maintenant que j'ai précisé pourquoi mon action peut avoir des répercussions négatives, il serait bien d'expliquer ce que j'en attends. Je ne suis pas maso, je ne me scie pas la branche sur laquelle je me tiens sans raisons !

J'aimerais que les gens qui n'ont jamais été victimes d'une agression sexuelle ou d'un viol prennent conscience que non, il ne suffit pas de porter plainte, ni même de tenir la procédure, avec toutes les aberrations qu'elle peut contenir, pour obtenir justice. Porter plainte, c'est une série de lancers de dés :
la personne qui prendra votre première déposition aura-t-elle la décence de vous épargner des questions et jugements culpabilisants et inutiles sur votre habilement, votre vie sexuelle de base, etc ? Transcrira-t-elle bien ce que vous lui racontez ou devrez-vous passer une bonne heure à relire et corriger le procès-verbal ?
La personne qui fera des expertises physiques ou psychologiques sera-t-elle professionnelle ou vous rajoutera-t-elle une couche de traumatisme ?
Le TGI qui suivra votre plainte sera-t-il débordé, aura-t-il la correctionnalisation facile ?

Bref, une plainte qui réussit, ça donne souvent du sursis pour le coupable après des années de lutte. Et beaucoup de douleurs supplémentaires pour la victime. Une plainte qui foire... c'est juste une torture pour la victime.

Et devinez quoi ? Beaucoup de plaintes échouent, ou sont a minima correctionnalisées quand il s'agit de viol. Et que signifie la correctionnalisation ? Des peines encourues bien moindres pour l'auteur des faits et un crime déqualifié en délit.

J'aimerais que les gens qui ont soutenu Mehdi Verniziau (ou Luth Ostinato de son nom d'artiste) en sachant que je le poursuivais en justice pour viol, qui se sont aveuglés parce que leur bon copain leur racontait une vision des choses où, au mieux il n'était que victime de ses difficultés à comprendre les femmes réalisent que la très lourde démarche que j'ai entamée contre lui et que je poursuis aujourd'hui ne m'apportera rien personnellement : ni réparation, ni notoriété, ni compassion...

La réparation (plus que partielle hélas), elle viendra des miens, de ceux qui gardent ma confiance et me portent malgré mes cicatrices. Ne parlons surtout pas d'indemnisation financière : elle serait justifiée, au moins pour éponger des frais de santé et de trajets que Mehdi a générés mais cet homme est insolvable.
La notoriété ? Je n'en aucune et si cette histoire, par hasard m'en apportait une bien éphémère, elle serait autant source de violentes retombées que de bénéfices, sinon plus. Et je retomberais bien vite dans l'oubli, parce que ce que je ne fais que dénoncer une chose somme toute banale, dont tout le monde a plus ou moins connaissance. Quand on n'est pas directement concerné, on oublie bien vite. Je crois avoir une petite facilité pour l'écriture, mais elle ne vaut certes pas les grandes plumes ou les voix d'autres plus talentueux et reconnus que moi.
La compassion, j'en ai obtenu de gens plus ou moins proches et très sincèrement, vous voulez savoir ? C'est certes agréable de savoir que certains tendent la main mais ça ne change rien à ce que je traverse. Du reste, je m'attends à recevoir plus d'insultes et de calomnies que de mots doux. J'ai des troubles psys, j'ai été victime de multiples agressions. Me croire sur parole est un pari.

Si je continue ce que je considère comme un sacrifice, qui m'a déjà bousillée au niveau de ma vie de femme, de maman, d'épouse, d'amante, qui m'a volé beaucoup de ma santé physique et psychique, c'est parce que Mehdi est dangereux. Réellement. Et que si personne ne lui dit officiellement qu'il n'a pas le droit de prendre de force ce qu'il n'a pas par la demande, qu'il doit accepter que ses envies ne sont pas des besoins que les autres doivent assouvir, il continuera.

Enfin, je voudrais que les acteurs du monde judiciaire se souviennent que le viol est un crime et que non, une enquête de 2 ans pour aboutir à un classement alors qu'on a entravé pas mal de démarches, ce n'est pas acceptable. Je radote mais je sais qu'à ce stade, un procès aurait été absurde. Mais n'est-ce pas le rôle de l'instruction de développer les éléments déjà en place ?

Souvenez-vous qu'au-delà du fascinant jeu de société qui se joue dans les procédures judiciaires, il y a de vraies victimes et de vrais agresseurs. Je suis attachée au principe de présomption d'innocence, à la réhabilitation des personnes qui ont fauté... mais l'impunité de fait que vous offrez si souvent aux violeurs, agresseurs, harceleurs condamne ceux dont vous bafouez les plaintes à leurs propres peines : impossibilité d'exercer certaines activités de peur de croiser leur bourreau, claustration, changements fréquents de numéro de téléphone en cas d'appels malveillants, déménagements...

Soyez conscients que ceux qui ont fait du mal et que vous laissez dans la nature en referont parce qu'au fond, pourquoi s'en priveraient-ils ? Je suis consciente que dans votre institution, vous avez de grosses difficultés à gérer pour pouvoir exercer décemment. Mais RIEN n'excuse certains propos entendus dans diverses audiences (« Ça ne devait pas être si terrible si aviez la force de vous débattre », « Est-ce aussi grave de violer une personne handicapée qu'une personne normale ?» et autres joyeusetés...) ou de ne pas répondre sur une année à un courrier de détresse. Rien ne justifie de demander à une victime pourquoi elle s'est rendue seule chez un ami, comment elle était habillée ou si son mari a des vues sur ses amants dans leur relation libre. Rien ne justifie de dire à une victime « vous avez déjà déposé plusieurs plaintes, vous ne serez plus crédible si vous accusez une personne de vous avoir violée »... Rien ne justifie l'indécence.

Le message que vous envoyez une fois de plus, c'est que porter plainte est inutile et dangereux, et que la victime de viol reste présumée coupable ou menteuse. Même quand elles sont plusieurs, même quand des traces écrites existent.

A tous ceux qui liront cet article : ne me plaignez pas. Je suis cassée, et c'est en grande partie à moi de reconstruire aec les morceaux qui me restent.
Ne lynchez pas Mehdi/Luth (je ne nie pas que je ne pleurerais clairement pas sur son sort, mais ce que je demande, c'est un procès et une juste peine pour ses actes) Si je vous ai donné son identité c'est pour rappeler le concret d'une situation réelle et préciser à toute personne qui serait amenée à le côtoyer que cet homme est dangereux. Si vous vous rendez aux Geek Faeries,
Si vous devez avoir une seule réaction, c'est de protester réellement auprès des autorités pour que mon histoire devienne une petite exception dans le monde judiciaire et non une quasi-norme. Mon cas est loin d'être unique. Je ne suis qu'une parmi d'autres et nous avons toutes et tous besoin de vos voix.