(Aujourd'hui, j'abandonne mon ironie mordante. J'ai besoin d'être prise au sérieux et d'abaisser les défenses, pour cette fois. Je prends un risque en écrivant cette lettre. Risque assumé)
Madame la Ministre des Droits des Femmes,
Je me permets de m'adresser à vous car
je fais face depuis août 2015 à une situation destructrice et que
je ne vois pas d'autre issue que d'user un peu de ce qui me reste
d'énergie à vous solliciter.
Voilà plus d'un an et demi, j'ai été
victime d'un viol, comme de nombreuses femmes le sont chaque jour
dans notre pays. Ce n'est pas la première agression criminelle que
je subissais et je savais parfaitement qu'entamer une procédure
judiciaire contre l'homme qui avait abusé de ma vulnérabilité
psychique comme physique n'aurait rien d'un parcours de santé.
J'ai pourtant estimé que ce que le
code pénal considère comme un crime méritait d'être porté devant
la justice française, tant pour éviter que mon agresseur commette
des faits similaires sur d'autres que moi que pour obtenir réparation
du préjudice subi. J'ai malheureusement appris par la suite que je
n'étais pas sa première victime. Son ex compagne, ayant appris que
je déposais plainte, l'a fait à son tour.
A ce jour, malgré des démarches
lourdes et éprouvantes, l'institution judiciaire n'a pas encore joué
son rôle mais a montré de graves dysfonctionnements dans la prise
en charge de ma plainte.
En effet,
- Lors de mon audition initiale, j'ai été en butte à des interrogations au minimum déplacées de la part de la personne prenant ma plainte, concernant mon habillement le jour de l'agression, l'état de ma sexualité à la période des faits, mes relations avec mon conjoint...
- Malgré l'identification de mon agresseur et de son domicile, il s'est écoulé 3 mois entre ma déposition et sa garde-à-vue.
- Lors de cette garde-à-vue, j'ai été sollicitée pour une confrontation, confrontation qui, malgré mon déplacement difficile sous médication morphinique (en raison d'un handicap douloureux) et ma présence sur place en temps souhaité, a été annulée parce que je réclamais l'assistance d'un avocat lors de la mise en présence de mon agresseur. J'ai donc mis en jeu ma santé pour un acte qui n'a pas eu lieu, au simple motif que je faisais valoir un droit légitime tant au regard de la loi que de l'épreuve psychologique et médicale que représentait cette étape.
- Suite à cette annulation, le dossier a été remis tel quel au procureur en octobre 2015, malgré mon désaccord et mon souhait explicite d'une confrontation reportée, possibilité qui m'avait été proposée initialement par l'OPJ. Celle-ci a d'ailleurs été à la limite de la courtoisie en m'annonçant la non tenu définitive de la confrontation.
- Le procureur n'ayant pas fait suite dans le délai légal de trois mois pour faire connaître sa décision, j'ai essayé par le biais de mon avocat d'obtenir des informations sur la suite des choses. Malgré son dévouement et ses courriers répétés aux services du procureur, dix-neuf mois après ma plainte et plus d'un an après l'extinction de ce délai, je n'ai toujours aucune idée de ce qui peut être envisagé pour ma procédure, n'ayant pas accès au dossier puisque ce dernier n'est pas consultable avant le déclenchement d'une instruction ou d'un classement sans suite.
- Il m'est également désormais impossible de prendre moi-même des renseignements auprès du bureau d'ordre pénal du TGI de Créteil, puisque ce dernier n'accepte plus les appels de justiciables et que mon numéro de parquet ne m'a pas été communiqué.
J'ai parfaitement conscience
qu'aujourd'hui dans notre pays, la justice manque de moyens tant
humains que financiers. Je sais que, plus particulièrement, le
tribunal de grande instance de Créteil connaît des difficultés de
fonctionnement.
Mais, en tant que justiciable, je suis
inquiète quand je constate que le traitement judiciaire en matière
de viol est non seulement violent et irrespectueux envers les
victimes, mais également digne d'un simple délit.
En assistant à d'assez nombreuses
audiences à Créteil, j'ai même eu l'occasion de voir écrit, sur
le rôle d'une chambre correctionnelle placardé sur la porte,
accessible au public donc, la mention d'un viol sur mineur.
Par principe, la correctionnalisation
d'un viol est déjà une pratique que j'estime révoltante à
plusieurs titres. Mais ne même pas se donner la peine de requalifier
les faits en agression sexuelle dans la forme, c'est faire passer le
message au public que le viol n'est pas forcément un crime, même
s'il est commis sur un mineur.
Et si ce cas précis est, je l'espère,
une anomalie exceptionnelle, dans des affaires traitées dans ces
mêmes chambres correctionnelles ou même aux assises, j'ai entendu
des juges avoir des propos extrêmement déplacés à l'adresse de
victimes de violences sexuelles ou physiques, ou à l'adresse de
leurs conseils.
J'ai enfin pu observer que même dans des cas infiniment graves, que des peines très
légères venaient sanctionner les coupables. On parle de quelques
années, trois au maximum lors des audiences que j'ai pu observer,
voire quelques mois avec sursis, parfois avec mise à l'épreuve.
Se battre en justice pour obtenir ce
résultat-là, est-ce vraiment utile ?
Concernant ma plainte et son devenir,
Madame le Ministre, j'ai plusieurs craintes. Son classement sans
suites en fait partie, mais est loin d'être la seule.
Ce classement enverrait à l'homme qui
nous a agressées, son ex compagne et moi (au minimum), le signal
qu'il peut continuer en toute impunité. Mais il y a assez peu de
chances que je recroise cet individu, si je fais l'injuste effort de
ne pas me retrouver dans les festivals où il est bénévole et,
semble-t-il soutenu par les organisateurs. Cela a un coût pour moi,
car ces festivals me tiennent à cœur. A mon sens, ce n'est pas à
moi de devoir me priver d'activités sociales dans le cadre de mes
passions, néanmoins je peux consentir à ce sacrifice s'il s'agit de
garantir ma sécurité.
Quand à l'autre victime de cet homme,
elle a aussi choisi de s'éloigner de ses anciennes passions et des
parages géographiques de son bourreau.
Egoïstement, j'ai davantage peur d'une
suite de procédure, voire d'un procès où les intervenants se
permettraient de nouveau de remettre en cause mes passions, ma tenue
vestimentaire, mon droit de me rendre chez un ami sans imaginer que
celui-ci représente un danger... je ne veux pas non plus être
salie, accusée de chercher l'attention des gens avec ma plainte, et
autres stupidités trop souvent entendues, y compris d'officiers de
police judiciaire.
J'ai peur aussi d'une peine légère
avec sursis. En effet, cela laisserait libre notre agresseur, mais
avec une raison de s'en prendre à moi ou à son autre victime. Cela
enverrait également le message que ce qui nous est arrivé n'est
« pas si grave ».
J'ai peur de finir de ruiner ma santé
en espérant obtenir justice. Je sais depuis longtemps qu'une plainte
n'apporte que difficultés, peurs et regrets. Je n'ai déposé
celle-ci que parce qu'en 2015, je pensais avoir assez de ressources
pour faire face et protéger d'autres futures proies. J'ai vite
compris que mes forces déclineraient bien avant que la procédure ne
s'achève, bloquée à chaque échelon par la mauvaise volonté
autant que par le manque de moyens des agents de la force publique
comme de la justice.
Aujourd'hui, j'aimerais qu'on me permette :
Aujourd'hui, j'aimerais qu'on me permette :
- De pouvoir accéder à mon dossier judiciaire et d'avoir enfin un retour du procureur, afin d'évaluer si en l'état actuel de ma santé, je pouvais encore jeter des forces dans cette bataille épuisante.
- De comprendre comment, aujourd'hui, on peut estimer normal de laisser un potentiel violeur récidiviste libre durant si longtemps, sans que la date d'un procès, ou au moins la suite de la procédure ne soit décidée.
- D'avoir la possibilité de faire évoluer cette donne et la prise en charge de tels dossiers.
Madame la Ministre, j'ai l'immense
chance d'avoir une relative aisance avec les mots, et le culot de
vous adresser ce courrier en dernier recours via plusieurs media,
comme une bouteille à la mer. Mais qu'en est-il et qu'en sera-t-il
de toutes les victimes qui, pour diverses raisons ne peuvent réagir
à ces violences exercées contre elles par l'institution censée
protéger la société ? La seule leçon à retenir serait-elle
que porter plainte est une action dangereuse, douloureuse et
inefficace ?