Je dépoussière un peu ici et cette
fois, je vais abandonner un peu le ton léger que j'adopte
d'habitude. Cet article sera très long et pas illustré. Et je ne vais pas m'adresser à une entité mais à
des personnes réelles. La loi m'empêche théoriquement de nommer
le violeur que je vais mettre en cause dans cet article. Eh bien,
pour une fois, j'assume le risque d'être poursuivie en justice et je
vous explique pourquoi :
Ma plainte pour viol déposée en 2015
a été classée sans suites pour manque de preuves il y a à peine
quelques jours. On me dira qu'en soi, le procureur a bien le droit de
prendre la décision qu'il veut au regard des éléments qu'il a.
Certes mais en l'occurrence, plusieurs
choses me chiffonnent un poil :
Déjà, les éléments, on les a tous
en stock depuis bien longtemps, du moins ceux qu'on a bien voulu
prendre en considération, j'y reviens dans trente secondes. Ma
déposition n'a jamais varié, les témoins et autres victimes se
sont présentées assez rapidement... Ce long délai avant d'obtenir
une réponse du parquet est donc intolérable, d'autant que les deux
avocates qui m'ont soutenue lors de l'enquête préliminaire ont
sollicité à plusieurs reprises le procureur sans aucun retour.
J'entends parfaitement les graves manques de moyens tant humains que
financiers des services judiciaires et de police, mais laisser les
choses en suspens dans une procédure criminelle est problématique
en soi.
Ensuite, parler d'un manque de preuves
en matière de viol, c'est déjà souvent délicat (plainte une
semaine après les faits, va rechercher de l'ADN ou autres ! )
mais quand une confrontation prévue et ayant fait déplacer la
victime gavée de morphine pour des douleurs chroniques de 200
bornes, est annulée à la dernière minute parce que ladite victime
voudrait le soutien d'un avocat lors de la mise en présence de son
agresseur, disons que c'est encore un peu plus gonflé.
Entendons-nous bien : handicapée,
j'ai fait Caen-Paris pour me présenter à cette confrontation. Quand
on m'a signalé que ma demande de soutien ne pouvait être satisfaite
ce soir-là pour des raisons techniques, mais que si je me rendais
disponible à une autre date la confrontation restait possible, j'ai
accepté de revenir. 30 minutes plus tard, sans m'expliquer pourquoi
la donne avait changé, l'OPJ m'a dit que la procédure serait
envoyée telle quelle au procureur et la confrontation définitivement
annulée.
Enfin, quand on a des traces écrites
d'un auteur qui reconnaît une part des faits, plusieurs victimes,
etc... je ne dis pas que ça suffit pour déclencher un procès en
place publique sur le champ, mais une instruction me paraît
vaguement opportune.
Dernière remarque sur cette bien
longue enquête préliminaire : j'ai eu droit à tous les
poncifs de la culture du viol lors de mes auditions : ma tenue
vestimentaire, mon comportement aguicheur, mon côté marginal (bah
oui, j'aime les univers fantastiques et les festivals med-fan...). On
a à plusieurs reprises minimisé les faits et la responsabilité de
mon agresseur (il n'a pas l'air si méchant, vous êtes venue seule
chez lui...) La procédure a été coûteuse pour moi à bien des
titres : en santé, en temps, en argent. A plusieurs reprises
j'ai été éloignée de ma fille et de mon mari durant des jours
pour gérer des convocations. A plusieurs reprises j'ai mis ma santé
en jeu.
Bref, aujourd'hui, je décide donc de
t'interpeller directement, Mehdi. Tu es un illustrateur de talent et
un homme assez intelligent. Voire même sensible à ta manière.
Si je te dénonce nommément
aujourd'hui, ce n'est pas par vengeance je crois. Enfin, je ne vais
pas faire la naïve hein ! Oui je te garde colère et dégoût
et non, je ne pleurerai pas sur ton sort si tu es malmené un jour.
Mais tu es aussi malgré toi le symbole d'une justice bien
défaillante, qui a tendance à oublier de te faire prendre
conscience de la gravité de tes actes.
Ne te réjouis pas de ce classement
d'affaire, il me reste des recours et je vais porter directement
plainte auprès du doyen des juges d'instruction.
Mais avant cette étape, laisse-moi te
raconter quelques petites choses, deux trois broutilles dont tu es à
l'origine. Enfin, ne te chargeons pas trop : tu as ta grosse
part de responsabilités, mais ce procureur et d'autres agresseurs
passés aussi. Tu es un rouage, mais sans ce rouage, sans cette
dernière tentative de croire en la justice, aujourd'hui je ne serais
pas entière, soit, mais bien moins abîmée. Sans tes actes, mes
reviviscences seraient un peu moins violentes, un peu moins longues
chaque jour, chaque nuit.
Mehdi, pendant que tu te victimises, tu
poursuis assez peinard de ce que je sais, tes études dans l'art
(vraiment, continue, tu as un sacré talent. Tu es une ordure mais ça
je peux pas te le retirer !) Je vais pas te mentir, moi aussi je
continue ma vie, mais c'est un chouïa plus compliqué : chaque
nuit, tu t'invites avec d'autres dans ma chambre.
Je revis tes mains qui écartent mes
cuisses avec violence au moment où je les serre au maximum. Je revis
la peur. Le « non, pas encore » affolé qui me tétanise.
La douleur. Je revis tout ça mais aussi les questions à la limite
de la décence de l'OPJ quand j'ai porté plainte, les heures à
attendre un examen gynéco.
Ce ne sont certes que quelques scènes
au milieu d'autres du passé tout aussi traumatisantes. Mais elles y
ont leur part. TU as ta part de responsabilité dans mon état
actuel. Tu es le seul qui me fait trembler dès que je prends le
métro ou le RER sur la ligne vers Villejuif. Tu es celui à cause de
qui je renonce définitivement aux Geek Faeries. Ce n'est pas grand
chose me diras-tu, je ne suis plus francilienne et on vit fort bien
sans se rendre à un festival med-fan. Oui mais quand c'est la peur
qui dicte le refus d'aller dans certains lieux, une peur liée à des
souvenirs que tu as générés, il y a un petit souci non ?
Tu as ta responsabilité parce que tu
es en fond dans toutes mes relations sexuelles consenties. Parce que
dire « oui » une fois, tu m'as appris que pour des types
comme toi, ça veut dire « je suis non stop à ta
disposition », même si je signale que ce n'est pas l'envie du
jour. Tu m'as fait comprendre que je ne peux me défendre contre la
force brute, qu'on pouvait « forcer le passage ».
J'arrête là, ton égocentrisme
voudrait que je me concentre sur ton sort ? Ce jour-là tu m'as
laissé entrevoir que je n'étais pas ta seule victime (ce qui a été confirmé par la suite). Tu t'es
appesanti sur TA douleur d'homme incapable de communiquer avec « les
femmes ». Et si j'avais été enceinte de tes actes,
qu'aurais-tu subi, que serais-tu devenu ? Toi. Toi. Toi.
Alors oui, parlons un instant de toi.
Des amis te soutiennent, ne veulent pas croire que tu as violé. Tu
t'éclates en tant qu'artiste. As-tu seulement des pensées de temps
à autre pour ce que tu as commis, pour celles que tu as amochées ?
Je ne te voue pas de haine mais du mépris, du dégoût, oui, je t'en
réserve à la pelle. De la peur aussi, tu l'as compris. Tu es un
homme imposant, Mehdi. Et tant que tu ne prendras pas conscience de
ta capacité réelle de nuisance, de ta force physique et de tes
aveuglements, tu continueras à faire du mal. Et ce n'est pas ta
surprenante délicatesse quand tu manies tes crayons qui compense ta
monstruosité quand tu zappes le consentement d'une femme. Ce n'est
pas parce que ce n'est pas « ce que tu as voulu » que ce
n'est pas « ce que tu as fait ». Si tu arrives un jour à
comprendre ça, réellement, intimement, alors tu redeviendras un
être humain potable.
T'interpeller directement a un peu
brisé mon explication sur le pourquoi de cet article un peu risqué
pour moi à deux titres.
Déjà, actuellement, même si je forme
recours contre le classement sans suite de ma plainte, tu es présumé
innocent. Et tu aurais le droit de m'attaquer pour calomnie. Ne te
prive surtout pas de découvrir les joies d'une procédure
judiciaire, j'accepte même volontiers d'être condamnée. Je ne me
déroberai pas, je ne mentirai pas : oui, actuellement, je suis
hors des clous de la loi avec mon article. Mais je l'estime
nécessaire. S'il faut payer pour l'avoir publié, soit.
Tes soutiens, ou des gens inconnus,
pourraient très bien me harceler sur Internet après m'avoir lue.
Insultes, accusations de mensonge, reproches d'appel au lynchage,
tout est possible. Tiendrai-je face à ce genre d'ouragan ?
Honnêtement je ne sais pas. Déjà très affaiblie, ça peut
m'anéantir. Mais je prends mes responsabilités : je suis maman
et bientôt je le serai doublement. Je refuse de dire à mes filles
que dans ce monde, dans notre pays développé et « éclairé »,
il n'y a pas moyen de lutter contre tous les Mehdi Verniziau qui
pourraient s'en prendre à elles. Alors je grille mes dernières
cartouches, à mes risques et périls.
Maintenant que j'ai précisé pourquoi
mon action peut avoir des répercussions négatives, il serait bien
d'expliquer ce que j'en attends. Je ne suis pas maso, je ne me scie
pas la branche sur laquelle je me tiens sans raisons !
J'aimerais que les gens qui n'ont
jamais été victimes d'une agression sexuelle ou d'un viol prennent
conscience que non, il ne suffit pas de porter plainte, ni même de
tenir la procédure, avec toutes les aberrations qu'elle peut
contenir, pour obtenir justice. Porter plainte, c'est une série de
lancers de dés :
la personne qui prendra votre première
déposition aura-t-elle la décence de vous épargner des questions
et jugements culpabilisants et inutiles sur votre habilement, votre
vie sexuelle de base, etc ? Transcrira-t-elle bien ce que vous
lui racontez ou devrez-vous passer une bonne heure à relire et
corriger le procès-verbal ?
La personne qui fera des expertises
physiques ou psychologiques sera-t-elle professionnelle ou vous
rajoutera-t-elle une couche de traumatisme ?
Le TGI qui suivra votre plainte
sera-t-il débordé, aura-t-il la correctionnalisation facile ?
Bref, une plainte qui réussit, ça
donne souvent du sursis pour le coupable après des années de lutte.
Et beaucoup de douleurs supplémentaires pour la victime. Une plainte
qui foire... c'est juste une torture pour la victime.
Et devinez quoi ? Beaucoup de
plaintes échouent, ou sont a minima correctionnalisées quand il
s'agit de viol. Et que signifie la correctionnalisation ? Des
peines encourues bien moindres pour l'auteur des faits et un crime
déqualifié en délit.
J'aimerais que les gens qui ont soutenu
Mehdi Verniziau (ou Luth Ostinato de son nom d'artiste) en sachant
que je le poursuivais en justice pour viol, qui se sont aveuglés
parce que leur bon copain leur racontait une vision des choses où,
au mieux il n'était que victime de ses difficultés à comprendre
les femmes réalisent que la très lourde démarche que j'ai entamée
contre lui et que je poursuis aujourd'hui ne m'apportera rien
personnellement : ni réparation, ni notoriété, ni
compassion...
La réparation (plus que partielle
hélas), elle viendra des miens, de ceux qui gardent ma confiance et
me portent malgré mes cicatrices. Ne parlons surtout pas
d'indemnisation financière : elle serait justifiée, au moins
pour éponger des frais de santé et de trajets que Mehdi a générés
mais cet homme est insolvable.
La notoriété ? Je n'en aucune et
si cette histoire, par hasard m'en apportait une bien éphémère,
elle serait autant source de violentes retombées que de bénéfices,
sinon plus. Et je retomberais bien vite dans l'oubli, parce que ce
que je ne fais que dénoncer une chose somme toute banale, dont tout
le monde a plus ou moins connaissance. Quand on n'est pas directement
concerné, on oublie bien vite. Je crois avoir une petite facilité
pour l'écriture, mais elle ne vaut certes pas les grandes plumes ou
les voix d'autres plus talentueux et reconnus que moi.
La compassion, j'en ai obtenu de gens
plus ou moins proches et très sincèrement, vous voulez savoir ?
C'est certes agréable de savoir que certains tendent la main mais ça
ne change rien à ce que je traverse. Du reste, je m'attends à
recevoir plus d'insultes et de calomnies que de mots doux. J'ai des
troubles psys, j'ai été victime de multiples agressions. Me croire
sur parole est un pari.
Si je continue ce que je considère
comme un sacrifice, qui m'a déjà bousillée au niveau de ma vie de
femme, de maman, d'épouse, d'amante, qui m'a volé beaucoup de ma
santé physique et psychique, c'est parce que Mehdi est dangereux.
Réellement. Et que si personne ne lui dit officiellement qu'il n'a
pas le droit de prendre de force ce qu'il n'a pas par la demande,
qu'il doit accepter que ses envies ne sont pas des besoins que les
autres doivent assouvir, il continuera.
Enfin, je voudrais que les acteurs du
monde judiciaire se souviennent que le viol est un crime et que non,
une enquête de 2 ans pour aboutir à un classement alors qu'on a
entravé pas mal de démarches, ce n'est pas acceptable. Je radote
mais je sais qu'à ce stade, un procès aurait été absurde. Mais
n'est-ce pas le rôle de l'instruction de développer les éléments
déjà en place ?
Souvenez-vous qu'au-delà du fascinant
jeu de société qui se joue dans les procédures judiciaires, il y a
de vraies victimes et de vrais agresseurs. Je suis attachée au
principe de présomption d'innocence, à la réhabilitation des
personnes qui ont fauté... mais l'impunité de fait que vous offrez
si souvent aux violeurs, agresseurs, harceleurs condamne ceux dont
vous bafouez les plaintes à leurs propres peines :
impossibilité d'exercer certaines activités de peur de croiser leur
bourreau, claustration, changements fréquents de numéro de
téléphone en cas d'appels malveillants, déménagements...
Soyez conscients que ceux qui ont fait
du mal et que vous laissez dans la nature en referont parce qu'au
fond, pourquoi s'en priveraient-ils ? Je suis consciente que
dans votre institution, vous avez de grosses difficultés à gérer
pour pouvoir exercer décemment. Mais RIEN n'excuse certains propos
entendus dans diverses audiences (« Ça ne devait pas être si
terrible si aviez la force de vous débattre », « Est-ce
aussi grave de violer une personne handicapée qu'une personne
normale ?» et autres joyeusetés...) ou de ne pas répondre sur
une année à un courrier de détresse. Rien ne justifie de demander
à une victime pourquoi elle s'est rendue seule chez un ami, comment
elle était habillée ou si son mari a des vues sur ses amants dans
leur relation libre. Rien ne justifie de dire à une victime « vous
avez déjà déposé plusieurs plaintes, vous ne serez plus crédible
si vous accusez une personne de vous avoir violée »... Rien ne
justifie l'indécence.
Le message que vous envoyez une fois de
plus, c'est que porter plainte est inutile et dangereux, et que la
victime de viol reste présumée coupable ou menteuse. Même quand
elles sont plusieurs, même quand des traces écrites existent.
A tous ceux qui liront cet article :
ne me plaignez pas. Je suis cassée, et c'est en grande partie à moi
de reconstruire aec les morceaux qui me restent.
Ne lynchez pas Mehdi/Luth (je ne nie
pas que je ne pleurerais clairement pas sur son sort, mais ce que je
demande, c'est un procès et une juste peine pour ses actes) Si je
vous ai donné son identité c'est pour rappeler le concret d'une
situation réelle et préciser à toute personne qui serait amenée à
le côtoyer que cet homme est dangereux. Si vous vous rendez aux Geek
Faeries,
Si vous devez avoir une seule réaction,
c'est de protester réellement auprès des autorités pour que mon
histoire devienne une petite exception dans le monde judiciaire et
non une quasi-norme. Mon cas est loin d'être unique. Je ne suis
qu'une parmi d'autres et nous avons toutes et tous besoin de vos
voix.