dimanche 7 mai 2017

Réflexions en vrac sur la perception et le traitement des violences sexuelles -1 : la bonne victime

Dessin de Baptiste Beaulieu, auteur de l'excellent blog
www.alorsvoila.com... entre autres !

On dit souvent que l'image que les gens ont du viol est celle d'un acte brutal, avec menace et coups, par un inconnu au détour d'une rue tard le soir, ce qui est assez loin de représenter la majorité des cas. Mais les gens ont également souvent une vision de la bonne victime de viol, celle qui est secouée de sanglots, terrorisée et roulée en boule suite à l'agression, détruite à vie. Les gens ont aussi leur idée de facteurs vestimentaires favorisant ou non le viol, à base de longueurs de robe et de décolletés. Les gens pensent que le viol est systématiquement traité par la justice française comme un acte criminel. Les gens pensent que littérature, films et media divers et variés condamnent fermement les agressions sexuelles et les mécanismes qui y mènent. Les gens croient au fond bien des choses et peut-on les blâmer ? Quand on n'est pas directement concerné par un sujet, on en a rarement les clés. Et comme je n'aime pas laisser les gens en rade de questionnements, je leur propose ici quelques pistes de réflexion sur quelques idées reçues.

Round 1 : Eviter l'agression c'est facile en vrai... ou pas !

Au fond, les gens voudraient croire que la vie est un film. Devant un film d'horreur, on hurle à l'héroïne qu'elle est stupide, vu son rôle, de courir si lentement quand le monstre la poursuit. Mais boudiou, tu vas nous l'éviter cette satanée racine, oui ou non ?! Sinon tu vas trébucher et te plains pas, après, si une créature baveuse et griffue te bouffe...
On sait ce qui va lui arriver, on sait que l'autre va la rattraper et ça nous agace de la voir réagir en dépit de notre « bon sens ». Bref, on a une attitude conditionnée par une routine, des codes appris par cœur au long des visionnages...D'ailleurs, il arrive que des réalisateurs jouent avec ce savoir acquis à coups de pop-corn, nous surprennent et nous montrent que rien n'est figé dans le marbre.

En vrai, dans la vie réelle, avec des personnes qui n'ont pas de scripts pour les guider, nous avons cette même tendance à rechercher ces codes, ces certitudes, pour les calquer à toute situation un tant soit peu hors normes. Un viol, c'est un scénario écrit d'avance, il suffit de faire les bons choix au bon moment, non ?

Eh bien, scoop : non !

Si vous rendez visite à un vieil ami pour un après-midi tranquille, vous attendez-vous automatiquement à des gestes déplacés de sa place ? Vérifiez-vous systématiquement votre check-list ? Cet ami est-il célibataire ? Si oui, vient-il de se prendre un râteau ? Si oui, le combientième est-ce ce mois-ci ? S'il est en couple ou a des partenaires, est-il satisfait, bien dans sa peau ?
Et si tous les voyants de cette check-list ne sont pas au vert, renoncez-vous à aller voir cet ami ?

Là, je sens que vous avez très envie de me rétorquer qu'il faut savoir choisir des amis fiables, c'est tout ! Mouais. Figurez-vous que là encore ce n'est pas si simple.

C'est quoi une personne fiable ?
Une personne qui a une situation familiale ou amoureuse stable ? Une personne dont la personnalité ne semble pas fragile ou simplement qui connaît l'importance du consentement en matière de sexualité ? Mouais... ou pas !

Dans mes Heures du Thé, j'avais expliqué que revenait souvent dans mes oreilles le refrain « Moi je serais incapable de faire du mal à une femme ! »... de la part d'agresseurs, parfois très informés voire militants sur les questions des agressions sexuelles ! C'est qu'il y a un monde entre avoir une connaissance et mettre celle-ci en application dans sa vie quotidienne.
Tout le monde conviendra que rouler alcoolisé est dangereux. Que griller un feu rouge ou un stop peut avoir des conséquences. Et pourtant, en général, ça se traduit dans notre esprit comme « Ce sont les autres qui rendent la route dangereuse, voyons, pas moi ! »
Et les écarts que l'on commet soi-même nous semblent parfaitement justifiés, quoi qu'en dise ce bon vieux ronchon de Code de la Route.

Quant à la personne à la vie familiale ou amoureuse stable... Je vais me permettre de digresser un chouïa sur une vérité trop souvent oubliée : il serait assez chouette qu'on arrête de tout confondre deux choses pourtant opposées : les violences sexuelles n'ont rien, mais alors rien à voir avec un sentiment amoureux. Avec une attirance sexuelle, peut-être avec une frustration, soit, avec un aveuglement plus ou moins involontaire, probablement, avec un besoin plus ou moins soudain de dominer ou d'avilir, certainement.... mais pas avec l'amour.
L'amour ne se conçoit pas sans respect. Or devinez quoi ? Se passer du consentement de quelqu'un, ou du moins ne pas chercher à s'en assurer d'une manière ou d'une autre n'est pas très compatible avec le respect de qui que ce soit.

Ceci posé, il est difficile de ne fréquenter que des amis « casés » et à la lumière du paragraphe précédent, vous aurez compris qu'au final, un agresseur peut parfaitement se dissimuler sous les traits d'un conjoint et parent aimant pour peu qu'il se soit heurté à une frustration mal digérée par exemple, ou qu'il fasse simplement partie de ces personnes aimant établir leur domination sur autrui. On peut être un bon mari, on peut être un père aimant... et un parfait prédateur avec d'autres personnes... voire, on peut donner cette illusion tout en montrant un autre visage aux membres de sa famille. D'ailleurs, on en parle des viols conjugaux ? Dans un prochain article, en vrai. Trop à dire et les digressions longuettes sur un articles fleuve, ça va finir par vous endormir !

Et la victime qui a été abusée parce qu'elle s'est rendue dans une soirée trop arrosée et qu'elle a picolé plus que de raison, on peut bien reconnaître que même si l'agresseur a déconné, elle s'est mise en danger et porte une part de responsabilité, non ? Et davantage encore si sa tenue était indécente, hein ?
Je sais que je suis une éternelle rabat-joie, mais je vais encore vous décevoir.

Si sauter sur cette femme vous tente, ce n'est pas sa faute.
Vos actes, vos choix, votre responsabilité.
Déso pas déso. 


Concentrons-nous d'abord sur la tenue idéale pour éviter les ardeurs non désirées de convives en rut. Je vous avoue que la question me fascine parce que je ne l'ai toujours pas trouvée, après avoir essayé moult options, allant de la robe d'été à la triple couche collant/pantalon/pantalon de pluie (pareil en haut) en passant par les tee-shirts informes et les tailleurs (Oui, j'ai une allure bizarre en tailleur. Mais ce n'est pas la question !) Aucun de ces accoutrements n'a jamais, jamais empêché un de mes agresseurs de s'en prendre à moi.

Mais sans doute n'ai-je pas eu de chance ? Admettons qu'un type de tenue permette plus spécifiquement d'attiser les hormones présentes aux alentours. Certes, mais faire reproche à qui la porte, c'est sous-entendre qu'elle ne doit pas se rendre « optimalement désirable », sous peine de rameuter tous les vilains, on est d'accord ? Et que peu importe si elle a envie de plaire à certaines personnes, de séduire, ou tout bonnement d'être à l'aise avec elle-même et l'image qu'elle se renvoie, elle doit rester dans les normes pour éviter tout danger potentiel ? Ce serait pas un peu, je ne sais pas, moi... inverser les rôles ?
Petits, on nous apprend que même si le petit camarade a entre les mains le jouet que l'on convoite, on n'a pas le droit de le molester, ni de le harceler pour l'obtenir. Et le bambin n'est pas grondé pour le simple fait de s'amuser avec ce qui lui appartient. La leçon serait-elle à l'opposé une fois devenu adulte ?

Du coup, embrayons joyeusement sur le sujet de la soirée alcoolisée. Je suis bien d'accord, être bourré bride quelque peu les possibilités de réflexion et de défense. Mais au fond, dans une soirée, entre amis, entre collègues ou bêtement entre gens « bien », quelles défenses devrait-on avoir besoin d'ériger au juste ? Je lance une idée à tout hasard, hein, mais peut-être pourrait-on prendre le problème dans l'autre sens ?

Allez, venez, on fait ça : on arrête deux secondes de rire et on retourne vraiment les choses.

Boire excessivement est nuisible. Mais il ne fragilise pas seulement les défenses de potentielles proies, il désinhibe également ceux qui, sans lui, ne seraient parfois pas passés à l'acte. L'alcool affaiblit le jugement, et pas que pour de potentielles proies. Or vous savez quoi ? Je vous parie que si on consacrait nos efforts à remplacer massivement le message « tu peux être agressé parce que tu ne seras pas en mesure de te défendre » par celui qui dit à la partie en face (ou non, en fait, à tout le monde c'est aussi bien) « Tu peux faire du mal à d'autres parce que ton discernement sera altéré », on obtiendrait deux trois retombées positives.

D'abord, ça permettrait de responsabiliser en priorité les bonnes personnes. La meilleure façon d'éviter le drame, c'est encore d'en enrayer les causes. Remettre entre les mains de ceux qui peuvent dérailler le fait qu'ils sont les seuls à faire le choix de prendre le risque de mettre leur cerveau en veille, ce n'est pas les materner, c'est leur apprendre que toute décision a ses conséquences. Et, traitez-moi de patate si vous y tenez, mais cette leçon me paraît mieux adaptée au résultat que l'on cherche à avoir qu'une session de victim blaming une fois le drame survenu.

A ce propos, second bonus non négligeable à raisonner à l'envers (enfin, à l'endroit selon moi, suivez un peu, que diable!) : les mentalités évolueront plus facilement vers une notion essentielle : non, l'agression sexuelle n'est pas un mal inévitable avec lequel on doit apprendre à composer plutôt que le combattre. Je vous accorde que certaines personnes n'ont que faire des interdits et du mal qu'ils peuvent faire. Mais il faut marteler que la norme n'est pas d'avoir à esquiver ou subir des actes ignobles sous peine de porter une part de responsabilité des actes de son agresseur.

Oui, mais tu ne vais quand même pas nous dire qu'il faut laisser les jeunes femmes boire à outrance sans moufter ?
Euh... si à ce stade de notre aimable causette vous en êtes encore à penser que c'est le sens de mon discours, je vais me fâcher !

Oui, recommander à qui que ce soit (pourquoi diable se restreindre aux jeunes femmes?!) d'avoir une consommation raisonnée d'alcool, d'excitants, de tabac et autres substances plus ou moins rigolotes et plus ou moins dangereuses est une bonne chose. Et davantage encore si le « qui que ce soit » est jeune, ou fragilisé pour une raison x ou y (non, bordel, je ne parle pas de chromosomes !)
Mais faites-le pour de bons motifs. Parce que boire trop est dangereux pour la santé. Parce que ça empêche de garder le contrôle de SES propres actes. Parce qu'on se prive de la possibilité de conduire un véhicule. Parce qu'on a pas besoin de ça pour s'amuser. Parce que... Oh bon sang, trouvez n'importe quelle raison, même une invasion extra terrestre en cours si vous y tenez (je suis néanmoins curieuse de voir comment vous allez rendre le tout cohérent avec ce prétexte)
Mais surtout pas « sinon, on risque d'abuser de toi !»

Là on est clairs sur cette question ? On peut passer à la conclusion de ce premier round ? Ah ben c'est pas trop tôt !

J'aimerais ô combien vous dire qu'il y a un moyen infaillible d'éviter toute atteinte sexuelle. Malheureusement, s'il existe, je n'en ai pas connaissance malgré mes nombreuses recherches dans le domaine. Certes, certains facteurs peuvent accroître les risques. Ah bah tiens ! J'en ai un qui me vient à l'esprit justement : un entourage qui manque de bienveillance et dresse un tabou tacite sur ces questions-là.
Si je vous ai infligé ce premier pavé c'est dans l'espoir que vous réalisiez que non, subir une agression n'est pas la conséquence inéluctable de mauvais choix. Vous vous souvenez de la métaphore que j'ai employée au début de cet article, la nana dans le film d'horreur ? Je vais vous poser une dernière question avant de vous foutre la paix pour ce soir : Si vous aviez été à sa place, auriez-vous vraiment trouvé moyen de faire mieux qu'elle ?

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