mardi 28 mars 2017

Lettre à la Ministre des Droits des Femmes (et au Garde des Sceaux s'il passe par ici)



(Aujourd'hui, j'abandonne mon ironie mordante. J'ai besoin d'être prise au sérieux et d'abaisser les défenses, pour cette fois. Je prends un risque en écrivant cette lettre. Risque assumé)

Madame la Ministre des Droits des Femmes,

Je me permets de m'adresser à vous car je fais face depuis août 2015 à une situation destructrice et que je ne vois pas d'autre issue que d'user un peu de ce qui me reste d'énergie à vous solliciter.

Voilà plus d'un an et demi, j'ai été victime d'un viol, comme de nombreuses femmes le sont chaque jour dans notre pays. Ce n'est pas la première agression criminelle que je subissais et je savais parfaitement qu'entamer une procédure judiciaire contre l'homme qui avait abusé de ma vulnérabilité psychique comme physique n'aurait rien d'un parcours de santé.
J'ai pourtant estimé que ce que le code pénal considère comme un crime méritait d'être porté devant la justice française, tant pour éviter que mon agresseur commette des faits similaires sur d'autres que moi que pour obtenir réparation du préjudice subi. J'ai malheureusement appris par la suite que je n'étais pas sa première victime. Son ex compagne, ayant appris que je déposais plainte, l'a fait à son tour.

A ce jour, malgré des démarches lourdes et éprouvantes, l'institution judiciaire n'a pas encore joué son rôle mais a montré de graves dysfonctionnements dans la prise en charge de ma plainte.

En effet,

  • Lors de mon audition initiale, j'ai été en butte à des interrogations au minimum déplacées de la part de la personne prenant ma plainte, concernant mon habillement le jour de l'agression, l'état de ma sexualité à la période des faits, mes relations avec mon conjoint...
  • Malgré l'identification de mon agresseur et de son domicile, il s'est écoulé 3 mois entre ma déposition et sa garde-à-vue.
  • Lors de cette garde-à-vue, j'ai été sollicitée pour une confrontation, confrontation qui, malgré mon déplacement difficile sous médication morphinique (en raison d'un handicap douloureux) et ma présence sur place en temps souhaité, a été annulée parce que je réclamais l'assistance d'un avocat lors de la mise en présence de mon agresseur. J'ai donc mis en jeu ma santé pour un acte qui n'a pas eu lieu, au simple motif que je faisais valoir un droit légitime tant au regard de la loi que de l'épreuve psychologique et médicale que représentait cette étape.
  • Suite à cette annulation, le dossier a été remis tel quel au procureur en octobre 2015, malgré mon désaccord et mon souhait explicite d'une confrontation reportée, possibilité qui m'avait été proposée initialement par l'OPJ. Celle-ci a d'ailleurs été à la limite de la courtoisie en m'annonçant la non tenu définitive de la confrontation.
  • Le procureur n'ayant pas fait suite dans le délai légal de trois mois pour faire connaître sa décision, j'ai essayé par le biais de mon avocat d'obtenir des informations sur la suite des choses. Malgré son dévouement et ses courriers répétés aux services du procureur, dix-neuf mois après ma plainte et plus d'un an après l'extinction de ce délai, je n'ai toujours aucune idée de ce qui peut être envisagé pour ma procédure, n'ayant pas accès au dossier puisque ce dernier n'est pas consultable avant le déclenchement d'une instruction ou d'un classement sans suite.
  • Il m'est également désormais impossible de prendre moi-même des renseignements auprès du bureau d'ordre pénal du TGI de Créteil, puisque ce dernier n'accepte plus les appels de justiciables et que mon numéro de parquet ne m'a pas été communiqué.

J'ai parfaitement conscience qu'aujourd'hui dans notre pays, la justice manque de moyens tant humains que financiers. Je sais que, plus particulièrement, le tribunal de grande instance de Créteil connaît des difficultés de fonctionnement.
Mais, en tant que justiciable, je suis inquiète quand je constate que le traitement judiciaire en matière de viol est non seulement violent et irrespectueux envers les victimes, mais également digne d'un simple délit.
En assistant à d'assez nombreuses audiences à Créteil, j'ai même eu l'occasion de voir écrit, sur le rôle d'une chambre correctionnelle placardé sur la porte, accessible au public donc, la mention d'un viol sur mineur.
Par principe, la correctionnalisation d'un viol est déjà une pratique que j'estime révoltante à plusieurs titres. Mais ne même pas se donner la peine de requalifier les faits en agression sexuelle dans la forme, c'est faire passer le message au public que le viol n'est pas forcément un crime, même s'il est commis sur un mineur.

Et si ce cas précis est, je l'espère, une anomalie exceptionnelle, dans des affaires traitées dans ces mêmes chambres correctionnelles ou même aux assises, j'ai entendu des juges avoir des propos extrêmement déplacés à l'adresse de victimes de violences sexuelles ou physiques, ou à l'adresse de leurs conseils.
J'ai enfin pu observer que même dans des cas infiniment graves, que des peines très légères venaient sanctionner les coupables. On parle de quelques années, trois au maximum lors des audiences que j'ai pu observer, voire quelques mois avec sursis, parfois avec mise à l'épreuve.

Se battre en justice pour obtenir ce résultat-là, est-ce vraiment utile ?

Concernant ma plainte et son devenir, Madame le Ministre, j'ai plusieurs craintes. Son classement sans suites en fait partie, mais est loin d'être la seule.

Ce classement enverrait à l'homme qui nous a agressées, son ex compagne et moi (au minimum), le signal qu'il peut continuer en toute impunité. Mais il y a assez peu de chances que je recroise cet individu, si je fais l'injuste effort de ne pas me retrouver dans les festivals où il est bénévole et, semble-t-il soutenu par les organisateurs. Cela a un coût pour moi, car ces festivals me tiennent à cœur. A mon sens, ce n'est pas à moi de devoir me priver d'activités sociales dans le cadre de mes passions, néanmoins je peux consentir à ce sacrifice s'il s'agit de garantir ma sécurité.
Quand à l'autre victime de cet homme, elle a aussi choisi de s'éloigner de ses anciennes passions et des parages géographiques de son bourreau.

Egoïstement, j'ai davantage peur d'une suite de procédure, voire d'un procès où les intervenants se permettraient de nouveau de remettre en cause mes passions, ma tenue vestimentaire, mon droit de me rendre chez un ami sans imaginer que celui-ci représente un danger... je ne veux pas non plus être salie, accusée de chercher l'attention des gens avec ma plainte, et autres stupidités trop souvent entendues, y compris d'officiers de police judiciaire.

J'ai peur aussi d'une peine légère avec sursis. En effet, cela laisserait libre notre agresseur, mais avec une raison de s'en prendre à moi ou à son autre victime. Cela enverrait également le message que ce qui nous est arrivé n'est « pas si grave ».

J'ai peur de finir de ruiner ma santé en espérant obtenir justice. Je sais depuis longtemps qu'une plainte n'apporte que difficultés, peurs et regrets. Je n'ai déposé celle-ci que parce qu'en 2015, je pensais avoir assez de ressources pour faire face et protéger d'autres futures proies. J'ai vite compris que mes forces déclineraient bien avant que la procédure ne s'achève, bloquée à chaque échelon par la mauvaise volonté autant que par le manque de moyens des agents de la force publique comme de la justice.

Aujourd'hui, j'aimerais qu'on me permette :

  • De pouvoir accéder à mon dossier judiciaire et d'avoir enfin un retour du procureur, afin d'évaluer si en l'état actuel de ma santé, je pouvais encore jeter des forces dans cette bataille épuisante.
  • De comprendre comment, aujourd'hui, on peut estimer normal de laisser un potentiel violeur récidiviste libre durant si longtemps, sans que la date d'un procès, ou au moins la suite de la procédure ne soit décidée.
  • D'avoir la possibilité de faire évoluer cette donne et la prise en charge de tels dossiers.


Madame la Ministre, j'ai l'immense chance d'avoir une relative aisance avec les mots, et le culot de vous adresser ce courrier en dernier recours via plusieurs media, comme une bouteille à la mer. Mais qu'en est-il et qu'en sera-t-il de toutes les victimes qui, pour diverses raisons ne peuvent réagir à ces violences exercées contre elles par l'institution censée protéger la société ? La seule leçon à retenir serait-elle que porter plainte est une action dangereuse, douloureuse et inefficace ?

Heure du thé-4 Le fauve



Ah, tu es là, parfait ! Je t'en prie, installe-toi et sers-toi. Oui, je fais court sur les civilités ce soir. Pas d'humeur. Crevée. Je te signale que les cookies et le thé que tu ingurgites, tout virtuels qu'ils soient, réclament un certain temps de préparation et me demandent une énergie qui me fait de plus en plus défaut.

On a, me semble-t-il, souvent tourné autour du pot, mais je viens de prendre une grande décision : je vais t'aider à lever la malédiction qui te fut jadis lancée. Hein, quoi ? Non je ne suis pas folle, du moins pas plus que d'habitude ! Mais maintenant qu'on est assez intimes, toi et moi, tu peux bien me l'avouer, ce secret qui te ronge... Tu veux que je te raconte comment j'ai fini par comprendre ?

Ce qui m'a mise sur la piste de ce sort qui te tient sous son emprise ? A force de t'entendre t'excuser à l'avance pour des gestes immondes non encore arrivés, des attitudes abjectes que tu n'as pas encore eues, ou en cours mais que tu ne modifies pas, j'ai compris que tu n'avais aucun contrôle sur tes actes, qu'un fauve en toi prenait le dessus. Ta douloureuse conscience de ce démon en ton sein te pousse à tenter d'avertir ses victimes mais tu as du mal à le combattre et à entraver ses mauvaises actions. Ce n'est pas toi le fautif, mais ce fauve ingérable qui cohabite avec ton âme...

Pauvre de toi, fragile créature... quelle horrible sorcière a bien pu te prendre en grippe et t'infliger un tel supplice ? Et pourquoi ? Bah, qu'importe, ensemble, nous te sauverons de ce maléfice, et tu retrouveras le comportement noble, respectueux et empathique que tu rêves d'exercer...

Pardon ? Je délire et je te fais peur ? Attends... tu veux dire que je me plante totalement?! Tu n'es pas maudit et restes parfaitement maître de tes actes ? Mais alors... pourquoi ?

Pourquoi m'expliques-tu que tu ne pourras pas t'empêcher de me caresser ou de m'embrasser sans mon accord selon les circonstances, parce que tu n'as pas eu de relations intimes depuis un moment, ou à cause de ma tenue vestimentaire par exemple ? Et pourquoi t'excuser de me toucher si tu es capable de suspendre ton mouvement et de l'interrompre à la seule force de ta volonté ?

Si tu n'es pas maudit... il va falloir qu'on cause encore plus sérieusement, mon chou. Je veux bien essayer de te comprendre, mais à la lueur de cette nouvelle donne, je crains que mes conclusions te déplaisent. Tu m'en vois absolument navrée. Ou pas !

« Excuse-moi d'avance si je te saute dessus quand je te verrai, je suis en manque depuis longtemps» et variations sur ce thème

Je vais sans doute te surprendre, mais on se trimballe tous quelques frustrations au cours de notre quotidien. Et ce n'est pas parce qu'elles existent et nous blessent qu'on se mue tous en bêtes sauvages dès qu'on a une potentielle occasion de les combler. En fait, quand on y pense, passer au-dessus de nos frustrations et nous comporter de manière civilisée est le ciment de la vie en société.

Oui, je sais, je deviens inutilement moraliste. Partons plutôt comme toujours de ton point de vue, histoire de voir en quoi il coince selon moi. D'après toi, l'emprise d'un manque de sexe ou de « tendresse » excuse une attitude qu'en temps normal tu jugerais toi aussi répréhensible. Ok, pour l'amour de la discussion, admettons ! Remarque, en fait, c'est pratique et simple : il suffirait de surveiller tes jauges de faim, de sommeil et de sexe pour avoir un gentil garçon poli et agréable ? Soit, l'homme est un tamagochi, je prends note...

Quoi, ça te vexe d'être réduit à un petit animal virtuel ? Mais... tu ne peux pas tout exiger, hein, mon cher ! Une vie simple et facile, réduite à la seule satisfaction de tes besoins, c'est possible, mais ne t'attends pas en prime à accéder au statut infiniment complexe d'être humain évolué. Ballot, je sais. Mais conduis-toi en bestiole primaire et tu seras estimé comme tel.

Et non, présenter de vagues excuses d'avance ne t''absoudra de rien du tout. Si tu es conscient que ce que tu t'apprêtes à faire est mal, tu serres les dents et tu te retiens. Parce qu'au final, qu'est-ce qui t'empêche d'agir correctement ? Simplement le plaisir que tu tireras de tes actes, au détriment du bien-être des autres. Et eux seraient en prime tenus de t'excuser parce que tu as fait l'effort de prévenir ? Monsieur veut un café et l'addition en prime ?

« Mais je ne pourrai m'en empêcher... »

Ah bah moi j'ai essayé de trouver une explication à base de sorcière et de malédiction, mais tu n'en as pas voulu. Dont acte... mais alors, qu'est-ce qui te bloque dans tes mauvaises réactions ? Ce monstre que tu as en toi et que tu laisses sortir, je suis convaincue qu'on le porte tous en notre sein. Nos envies non assouvies, nos peurs et nos colères le nourrissent. Mais pourquoi la plupart des gens arrivent-ils à le bloquer et pas toi ?

Je peux entendre que parfois, la pression mentale, la pulsion est trop forte pour qu'on soit raisonnable. C'est grave et il faut y remédier, mais ça existe. Mais si tu sais que tu es dans ce cadre-là, que tu n'as pas les moyens de résister à ce que te dicte une faim de quelque nature qu'elle soit, pourquoi laisser les choses aller au bout, quitte à faire du mal ? Pourquoi ne pas au moins essayer d'arrêter le cours de tes actes ? En appelant des professionnels, en mobilisant ton entourage... il y a des moyens de lutter, emploie-les au maximum avant de renoncer.

Et si vraiment tu veux essayer de gérer en solo cette force malsaine qui te bouffe, tu as une dernière option : autant que possible, faire tout pour éviter d'être dans des situations à risque. Sans te cloîtrer dans un donjon, tu peux limiter les occasions de te retrouver seul avec une femme, ou dans un bar si tu ne tiens pas l'alcool... ce n'est pas drôle pour toi ? J'en suis certaine et je compatis, mais je te fais confiance et je sais que tu as plus à cœur de ne pas faire de mal que de te déchaîner. Après tout, si on estime les victimes d'agression coupables de s'être piégées elles-mêmes en toute connaissance de cause, on peut tout autant faire remarquer à un agresseur ayant conscience de sa dangerosité qu'il devrait éviter de provoquer une potentialité libérant ses instincts et pulsions !

Encore vexé ? Je te parle de fragilité psy et tu râles une fois de plus. C'est vrai, je suis désespérante, je ne te laisse pas, même avec cette circonstance, te dérober entièrement à tes responsabilités. Si tu as conscience du trouble, tu dois essayer d'y faire face. Et le fait de tenter de te justifier d'avance prouve que tu n'es pas hors d'atteinte de la réalité. Ah non, ce n'est pas ce point qui t'ennuie vraiment, mais la simple hypothèse que tu sois malade ?

Laisse-moi clairement te dire les choses alors : avoir un problème psy n'est en rien dégradant ou humiliant. Demander de l'aide non plus. Ce qui devrait t'humilier, c'est que je te considère d'office comme pleinement responsable de tes actes et simplement trop lâche pour te contrôler. Je préfère une personne malade à une personne qui voit les autres comme des outils au seul usage de son confort.

Au fond, tu vois, j'aurais aimé croire sérieusement à la malédiction ou au trouble psy mal géré parce que tu n'as pas les clés pour tenter d'être envahi. Parce que dans ces deux cas, il y aurait moyen de te voir comme une personne respectable. Là je ne peux percevoir que de l'égoïsme de ta part.