mercredi 20 juillet 2016

L'heure du thé -2



Aujourd'hui, je te reçois avec des tartes au pommes, en lieu et place des cookies. J'ai cru remarquer la dernière fois que sur la fin, tu ne les supportais plus trop. Va savoir pourquoi... Assieds-toi et prends tes aises, parce qu'aujourd'hui, je vais sans doute encore plus te bousculer que lors de notre précédente rencontre.
On va discuter, ou plutôt tu vas sagement m'écouter sur une autre connerie récurrente dans ton discours. Ah, tu n'avais pas encore percuté ? Tu pensais vraiment qu'à un moment je te donnerais voie au chapitre sur mes terres ? Non. Reprends une part de tarte et rumine ta déception pendant que je t'offre une leçon particulièrement dure à retenir.

Elle portera sur cette idée merveilleuse que tu sers parfois avec tant de conviction que je me demande si ce n'est pas toi que tu tentes vainement de convaincre :  

 « Un non opposé à une demande de coucherie ou de relation amoureuse est aussi violent qu'une agression, voire peut justement transformer le plus respectueux des hommes en agresseur, surtout si cet homme a essuyé des refus de plusieurs femmes »

Bien, bien, bien...prenons les choses une par une, veux-tu ? J'aimerais préciser deux toutes petites bricoles en préambule : Quand je te dis non, ce n'est pas pour t'embêter. C'est que je n'ai pas envie de toi, comme ça et maintenant. Tu peux être le plus adorable des hommes à mes yeux, m'attirer sexuellement en d'autres moments, là, tout de suite, ça ne me tente simplement pas. C'est un peu comme si tu n'avais absolument pas faim, ni aucun accès de gourmandise et qu'on te proposait un gros gâteau. Dire non merci ferait-il de toi un vil personnage ?
Par ailleurs, je ne te dois rien. Qu'on soit amis de longue date, amants réguliers, qu'on vienne de faire connaissance autour d'un verre, je ne te dois rien. Même si on était en couple, je ne te devrais rien. En fait, si, laisse-moi corriger : je te dois du respect, tant que toi tu m'en manifestes. Mais entre te respecter et t'offrir une partie de jambes en l'air, je t'assure qu'il y a un monde ! Et quoi que tu sois pour moi, quoi que tu aies fait pour m'être agréable, rien au monde ne te donne un droit sur mon corps. Que tu te sois illusionné sur ce sujet me navre, crois-le bien, mais ça ne me regarde pas.

Ceci clarifié, rentrons dans le vif du sujet. Tu oses vraiment soutenir qu'un refus de relation sexuelle équivaut à une agression ? Alors laisse-moi élargir ton horizon, mon cher. Une frustration, une déception, de la colère., un coup à l'orgueil... voilà à peu près ce qu'on ressent face à un refus. Parfois, ça va jusqu'à une impression de trahison. Ce n'est vraiment pas agréable, je le conçois. Mais mon non est un mot. Qui peut te blesser, certes. Mais il n'est pas dirigé contre toi. Il est là pour m'épargner un moment qui, pour telle ou telle raison, me serait désagréable. A l'inverse, quand tu décides d'outrepasser ce souhait de ne pas aller plus loin, tu t'attaques à moi, physiquement.

Quand tu poses ta main sur moi après un non dans l'intention d'obtenir ce que toi tu veux malgré mon désaccord, tu passes un palier dans la violence. Tu signifies que tu te places au-dessus de moi dans la hiérarchie des avis à prendre en compte. Tu connais ma faiblesse musculaire, mon état de fatigue, mon handicap, mon passé. Et tu sais que je n'ai pas les moyens de te repousser. Quand tu écartes mes jambes que je replie au mieux pour que tu n'y aies pas accès, quand tu profites du fait que je tombe de sommeil ou que je suis percluse de douleur pour obtenir ce que tu veux, tu ne me dis pas simplement que mon refus n'a pas de valeur pour toi, tu me montres également que tu as tous les moyens de me contraindre et que tu vas les utiliser.

Mon non te frustre, ton viol me blesse mentalement et physiquement à des niveaux plus élevés. Ne serait-ce que pour cela, nos douleurs ne seraient déjà pas équivalentes. Mais poursuivons. Un viol a des séquelles, au-delà de l'acte en soi. Des séquelles psychologiques, mais aussi physiques, sociales... Pour la première séquelle psy, laisse moi te familiariser avec une amie que je côtoie depuis que tu as décidé que tu avais le droitd'abuser de moi.

Réminiscence, c'est une charmante copine qui m'invite souvent au cinéma. Et attention, hein, pas le simple grand écran standard, non, elle m'offre la séance grand luxe avec immersion totale dans le film... l'ennui, tu vois, avec Réminiscence, c'est qu'elle m'emmène toujours voir la même œuvre : la version longue de l'agression que tu m'as fait subir. Tes gestes, ton odeur, tes mots, la violence, la honte... tout me revient et m'atteint avec la même force qu'à ce moment-là. Je replonge avec délices horreur dans ces instants dramatiques. Tu te souviens de ce forçage violent de mon intimité, après avoir abattu mes maigres défenses ? De la douleur intense ressentie ? De la sensation d'avoir un corps étranger entrer en moi sans que je ne puisse rien pour l'évacuer ? Oh wait ! C'est moi qui revis ça, intégralement, à chaque visite de Réminiscence, pas toi. Tu es trop occupé devant ton propre drama de victime de mon non consentement.

Réminiscence est fidèle, mais elle a un petit défaut : elle a le chic pour débarquer n'importe quand dans ma petite vie : il suffit d'un rien pour qu'elle se sente obligée de rappliquer : une parole malheureuse entendue, un parfum qui me rappelle le tien... C'est un peu usant, tu vois. Et je t'en veux de nous avoir mises en relation. Réminiscence est arrivée dans ma vie accompagnée de ses camarades Insomnie et Cauchemar. Ces deux-là, je les croise chaque nuit. Quand l'une me lâche, l'autre se pointe. Inutile de te préciser que ce trio, quoique charmant, joue un peu sur mon humeur au quotidien, ainsi que sur ma santé.

Oh tiens, oui, embrayons sur une autre conséquence potentielle d'un viol : je ne vais pas t'infliger un cours de biologie, mais en général, tout à l'écoute de ton envie de te servir de moi, tu oublies des gestes élémentaires dans une relation sexuelle : contraception, protection contre les IST et MST... ce genre de broutilles. Et toi, passé ton moment de plaisir, tu as peu à te soucier des éventuelles lésions que tu m'as occasionnées en forçant mon intimité, ou d'une potentielle fécondation. C'est moi qui vais devoir gérer ça, aller chez un médecin, accepter des examens gynécologiques qui vont rajouter à mon traumatisme... Tu t'en fous royalement, toi, puisque tu ne risques rien. Et si je suis enceinte, c'est moi qui me retrouve placée devant cet intéressant choix de garder la grossesse ou non.

Tu n'as pas non plus à te placer devant cette évidence : le viol que tu m'as fait subir, tu peux l'imposer à d'autres. Et la seule arme que j'ai pour tenter d'éviter ça, c'est la plainte. Avec toutes ses conséquences. Dame Justice est farceuse et ne m'épargnera pas. En décidant de porter tes actes devant elle, je sais parfaitement que je devrai revivre les choses pour mieux les relater à la police, accepter des questions inquisitrices et malvenues, accepter des remarques déplacées... je sais que je devrai me battre contre toi, mais aussi contre une institution bien mal foutue. Je sais que si j'échoue, émotionnellement, je me reprocherai chaque atteinte que tu commettras envers d'autres.

Ne crois pas non plus qu'être plaignante en justice m'apportera compassion et estime des autres. Quoi que je décide, des gens plus ou moins bien intentionnés me diront ce que j'aurais dû faire lors de chacune des agressions, ou ce que j'aurais dû faire avant, ou ce que j'aurais dû faire ensuite... C'est fou ce que les gens ont d'idées, quand ils ne sont pas très directement concernés, tu ne trouves pas ? J'admire souvent leurs brillants esprits. C'est juste un peu bête que leurs conseils se heurtent si souvent à ma réalité, dans laquelle ils ne sont guère applicables. J'en recauserai, un jour, va. Mais une chose est certaine : l'auréole de victime, elle prend vite des coups.

Tu commences à réaliser, dis ? J'imagine bien que tu n'as pas envie de te confronter à tout ce qu'un bref moment de domination (enfin, bref, tout est relatif, fort étrangement j'ai trouvé le temps long, moi. Sans doute devais-je m'ennuyer...) a pu générer dans une autre vie que la tienne. Au fond, de quoi aurais-tu à te soucier ? Tu en es encore à digérer qu'une femme, à un moment, ait osé te dire non et à soigner ton Ego blessé.
Sinon, pour toi, des non cumulés, d'une ou plusieurs femmes, peuvent pousser le plus brave des hommes à devenir un agresseur... Dis-moi, juste pour rire, mon cher, en admettant (et crois bien que ça m'écorche le cœur, la gorge et les neurones) que cette affirmation soit exacte, pourquoi ce serait à la dernière femme qui t'a dit non de devenir à son tour victime du rejet que tu as subi, sous la forme d'un viol ? Non, ne t'en fais pas, la question est purement rhétorique, il ne faut pas te torturer à tenter de me répondre.
Poursuivons. N'as-tu pas l'impression de donner beaucoup de pouvoir à celles qui t'ont infligé un râteau ? Es-tu si faible et fragile que le manque de sexe te fasse te transformer en bête féroce ? Je comprendrais que ça t'aigrisse, voire que ça te fasse à la limite décider de ne plus te confronter à la gent féminine. Mais de là à estimer que tu as le droit de jeter aux orties loi et respect de base ?

Au final, je me rends compte que tu as à peine plus de respect pour ton libre arbitre que pour le mien. Si tu crois que n'importe qui peut entrer dans ton esprit et modifier ton sens moral et tes convictions à loisir, c'est que tu admets ne pas avoir la moindre emprise sur toi-même. As-tu d'ailleurs la moindre consistance ? C'est effrayant, non, dit comme ça ? Ah tiens, en passant, du coup, en quoi avais-tu le droit de m'imposer tes envies ? Non, même en allant dans ton sens, ça ne marche pas, je crois. Alors laisse-moi te donner mon avis sur la question : Essayer d'esquiver tes responsabilités en la reportant sur d'autres, c'est te placer comme enfant, soumis au flot des événements sans aucune possibilité de tracer ton chemin, de te créer ton idée un peu construite du bien et du mal.

Et au fond, quand tu trouves logique que des refus te conduisent à devenir un agresseur, tu agis comme un môme qui accuse un petit camarade d'avoir cassé le vase de mémé que tu as bousculé deux minutes auparavant avec ton ballon. Des frustrations en grand nombre, nous en subissons tous. Dans le travail, dans nos relations... mais pour la plupart des gens, il existe un mécanisme qui les retient de réagir par la brutalité et au mépris de tous leurs principes. Appelle ça conscience, maîtrise de soi ou magie si tu y tiens... mais pourquoi chez toi, ce bouclier anti-mauvaises actions est-il défaillant ? Je m'avance peut-être, mais il me semble que c'est toujours pour la même raison : parce qu'au fond ne t'importe que toi, uniquement toi. Contre le reste de l'univers ? Ou contre la réalité de tes actes ?



Cette nouvelle heure du thé a mis un peu de temps à arriver. L'article est plus long que le premier et je pense qu'il me fallait poser les bons mots sans tomber dans le larmoyant pour décrire les conséquences réelles et potentielles d'un viol et rappeler que ce n'est pas seulement un acte d'une poignée d'instants, mais également des blessures à long terme pour la victime. Je pense par ailleurs qu'il était nécessaire que j'explicite un peu plus dans ce texte que dans le précédent la notion de contrainte physique comme morale, qui est exercée lors d'un viol, afin de rappeler qu'il ne s'agit pas d'un simple combat de volonté, mais d'un déséquilibre de base entre une personne qui a les moyens de faire du mal et sa victime. Mon prochain article ne sera pas une heure du thé mais plutôt une réflexion sur une réaction que je constate souvent, venant de proches, et qui a fini de m'amuser pour me mettre sérieusement en rogne. Je crois que notre invité a laissé un peu de tarte aux pommes, qui en veut ?

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