Ah, tu es là, parfait ! Je t'en prie, installe-toi et sers-toi. Oui, je fais court sur les civilités ce soir. Pas d'humeur. Crevée. Je te signale que les cookies et le thé que tu ingurgites, tout virtuels qu'ils soient, réclament un certain temps de préparation et me demandent une énergie qui me fait de plus en plus défaut.
On a, me semble-t-il, souvent tourné autour du pot, mais je viens de prendre une grande décision : je vais t'aider à lever la malédiction qui te fut jadis lancée. Hein, quoi ? Non je ne suis pas folle, du moins pas plus que d'habitude ! Mais maintenant qu'on est assez intimes, toi et moi, tu peux bien me l'avouer, ce secret qui te ronge... Tu veux que je te raconte comment j'ai fini par comprendre ?
Ce qui m'a mise sur la piste
de ce sort qui te tient sous son emprise ? A force de t'entendre
t'excuser à l'avance pour des gestes immondes non encore arrivés,
des attitudes abjectes que tu n'as pas encore eues, ou en cours mais
que tu ne modifies pas, j'ai compris que tu n'avais aucun contrôle
sur tes actes, qu'un fauve en toi prenait le dessus. Ta douloureuse
conscience de ce démon en ton sein te pousse à tenter d'avertir ses
victimes mais tu as du mal à le combattre et à entraver ses
mauvaises actions. Ce n'est pas toi le fautif, mais ce fauve
ingérable qui cohabite avec ton âme...
Pauvre de toi, fragile créature... quelle horrible sorcière a bien pu te prendre en grippe et t'infliger un tel supplice ? Et pourquoi ? Bah, qu'importe, ensemble, nous te sauverons de ce maléfice, et tu retrouveras le comportement noble, respectueux et empathique que tu rêves d'exercer...
Pauvre de toi, fragile créature... quelle horrible sorcière a bien pu te prendre en grippe et t'infliger un tel supplice ? Et pourquoi ? Bah, qu'importe, ensemble, nous te sauverons de ce maléfice, et tu retrouveras le comportement noble, respectueux et empathique que tu rêves d'exercer...
Pardon ? Je délire et
je te fais peur ? Attends... tu veux dire que je me plante
totalement?! Tu n'es pas maudit et restes parfaitement maître de tes
actes ? Mais alors... pourquoi ?
Pourquoi m'expliques-tu que
tu ne pourras pas t'empêcher de me caresser ou de m'embrasser sans
mon accord selon les circonstances, parce que tu n'as pas eu de
relations intimes depuis un moment, ou à cause de ma tenue
vestimentaire par exemple ? Et pourquoi t'excuser de me toucher si tu
es capable de suspendre ton mouvement et de l'interrompre à la seule
force de ta volonté ?
Si tu n'es pas maudit... il
va falloir qu'on cause encore plus sérieusement, mon chou. Je veux
bien essayer de te comprendre, mais à la lueur de cette nouvelle
donne, je crains que mes conclusions te déplaisent. Tu m'en vois
absolument navrée. Ou pas !
« Excuse-moi
d'avance si je te saute dessus quand je te verrai, je suis en
manque depuis longtemps» et variations sur ce thème
Je vais sans doute te
surprendre, mais on se trimballe tous quelques frustrations au cours
de notre quotidien. Et ce n'est pas parce qu'elles existent et nous
blessent qu'on se mue tous en bêtes sauvages dès qu'on a une
potentielle occasion de les combler. En fait, quand on y pense,
passer au-dessus de nos frustrations et nous comporter de manière
civilisée est le ciment de la vie en société.
Oui, je sais, je deviens
inutilement moraliste. Partons plutôt comme toujours de ton point de
vue, histoire de voir en quoi il coince selon moi. D'après toi,
l'emprise d'un manque de sexe ou de « tendresse » excuse
une attitude qu'en temps normal tu jugerais toi aussi répréhensible.
Ok, pour l'amour de la discussion, admettons ! Remarque, en
fait, c'est pratique et simple : il suffirait de surveiller tes
jauges de faim, de sommeil et de sexe pour avoir un gentil garçon
poli et agréable ? Soit, l'homme est un tamagochi, je prends
note...
Quoi, ça te vexe d'être
réduit à un petit animal virtuel ? Mais... tu ne peux pas tout
exiger, hein, mon cher ! Une vie simple et facile, réduite à
la seule satisfaction de tes besoins, c'est possible, mais ne
t'attends pas en prime à accéder au statut infiniment complexe
d'être humain évolué. Ballot, je sais. Mais conduis-toi en
bestiole primaire et tu seras estimé comme tel.
Et non, présenter de vagues
excuses d'avance ne t''absoudra de rien du tout. Si tu es conscient
que ce que tu t'apprêtes à faire est mal, tu serres les dents et tu
te retiens. Parce qu'au final, qu'est-ce qui t'empêche d'agir
correctement ? Simplement le plaisir que tu tireras de tes
actes, au détriment du bien-être des autres. Et eux seraient en
prime tenus de t'excuser parce que tu as fait l'effort de prévenir ?
Monsieur veut un café et l'addition en prime ?
« Mais je ne pourrai
m'en empêcher... »
Ah bah moi j'ai essayé de
trouver une explication à base de sorcière et de malédiction, mais
tu n'en as pas voulu. Dont acte... mais alors, qu'est-ce qui te
bloque dans tes mauvaises réactions ? Ce monstre que tu as en
toi et que tu laisses sortir, je suis convaincue qu'on le porte tous
en notre sein. Nos envies non assouvies, nos peurs et nos colères le
nourrissent. Mais pourquoi la plupart des gens arrivent-ils à le
bloquer et pas toi ?
Je peux entendre que
parfois, la pression mentale, la pulsion est trop forte pour qu'on
soit raisonnable. C'est grave et il faut y remédier, mais ça
existe. Mais si tu sais que tu es dans ce cadre-là, que tu n'as pas
les moyens de résister à ce que te dicte une faim de quelque nature
qu'elle soit, pourquoi laisser les choses aller au bout, quitte à
faire du mal ? Pourquoi ne pas au moins essayer d'arrêter le
cours de tes actes ? En appelant des professionnels, en
mobilisant ton entourage... il y a des moyens de lutter, emploie-les
au maximum avant de renoncer.
Et si vraiment tu veux
essayer de gérer en solo cette force malsaine qui te bouffe, tu as
une dernière option : autant que possible, faire tout pour
éviter d'être dans des situations à risque. Sans te cloîtrer dans
un donjon, tu peux limiter les occasions de te retrouver seul avec
une femme, ou dans un bar si tu ne tiens pas l'alcool... ce n'est pas
drôle pour toi ? J'en suis certaine et je compatis, mais je te
fais confiance et je sais que tu as plus à cœur de ne pas faire de
mal que de te déchaîner. Après tout, si on estime les victimes
d'agression coupables de s'être piégées elles-mêmes en toute
connaissance de cause, on peut tout autant faire remarquer à un
agresseur ayant conscience de sa dangerosité qu'il devrait éviter
de provoquer une potentialité libérant ses instincts et pulsions !
Encore vexé ? Je te
parle de fragilité psy et tu râles une fois de plus. C'est vrai, je
suis désespérante, je ne te laisse pas, même avec cette
circonstance, te dérober entièrement à tes responsabilités. Si tu
as conscience du trouble, tu dois essayer d'y faire face. Et le fait
de tenter de te justifier d'avance prouve que tu n'es pas hors
d'atteinte de la réalité. Ah non, ce n'est pas ce point qui
t'ennuie vraiment, mais la simple hypothèse que tu sois malade ?
Laisse-moi clairement te
dire les choses alors : avoir un problème psy n'est en rien
dégradant ou humiliant. Demander de l'aide non plus. Ce qui devrait
t'humilier, c'est que je te considère d'office comme pleinement
responsable de tes actes et simplement trop lâche pour te contrôler.
Je préfère une personne malade à une personne qui voit les autres
comme des outils au seul usage de son confort.
Au fond, tu vois, j'aurais
aimé croire sérieusement à la malédiction ou au trouble psy mal
géré parce que tu n'as pas les clés pour tenter d'être envahi.
Parce que dans ces deux cas, il y aurait moyen de te voir comme une
personne respectable. Là je ne peux percevoir que de l'égoïsme de
ta part.
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