vendredi 14 octobre 2016

Safe control...

Bon, les gens. On va mettre certaines petites choses au point. Sans thé, sans cookies... un peu sur le tas, en fait, parce que j'en ai gros, comme dirait l'autre. Ca ne justifie pas entièrement mon manque de nouvelles sur le blog depuis un moment mais ça y participe un poil, dira-t-on, au milieu d'autres tempêtes.

Histoire de justifier un peu le titre de cet article, parlons un peu d'un truc qui me dérange de plus en plus : le safe à tout prix.



Le concept d'espace d'expression safe est régulièrement exploité dans un mauvais cadre, selon moi. Je sais que je vais irriter des gens avec mon propos. J'en suis navrée. Je n'exclus pas complètement l'idée que je puisse me tromper, mais j'apprécierais qu'on me fasse crédit d'avoir réfléchi au sujet autrement que superficiellement. Ceci précisé, passons aux choses sérieuses.

Traînant mes guêtres assez souvent sur divers groupes féministes, NA, je me sens de plus en plus mal à l'aise avec les dérives que je peux souvent observer quand il est question de garder un contrôle sur le vocabulaire employé.
Par mon métier de correctrice, ou tout simplement parce que je suis une grande amoureuse des mots, je suis ô combien consciente de leur importance, et du fait qu'ils ont tous un poids et une saveur. Néanmoins, je sais aussi que parfois, il est plus important de faire passer un message global que de choisir chaque terme avec un soin méticuleux. Et plus important encore en face de tolérer des expressions qui nous agacent ou nous heurtent dans certaines circonstances.

Oui, bon, on va passer de la grande théorie sirupeuse à des exemples un peu concrets, hein, avant vous ne vous endormiez.

Il y a un peu plus d'un mois je crois, sur un groupe que j'apprécie beaucoup, j'exposais une anecdote dans laquelle, aux prises avec un homme aux propos très graves, j'avais eu une réponse jugée non safe. J'avais en effet expliqué à cet aimable gus que s'il n'arrivait pas à envisager la possibilité qu'une femme réponde non à ds avances, c'est qu'il devait avoir une atteinte neurologique sévère.
Etant moi-même assez concernée par le sujet, puisque mon cerveau semble avoir plus de cicatrices que d'espace en bon état, je sais tout ce que peut impliquer ma répartie. Notamment, le fait qu'assimiler la bêtise à un réel état pathologique peut sembler désobligeant pour ceux qui luttent contre ledit état pathologique. Certes.

Des gens ont promptement réagi en me demandant de supprimer mon post, parce que ma réaction à la situation n'était pas une répartie safe.

Mais d'une part, quand on me dit qu'on ne « peut » pas envisager un refus, j'ai tendance à rétorquer qu'il est un peu facile de se retrancher derrière une incapacité... sauf si elle a une cause technique. Ce n'est pas rabaissant pour les personnes neuroatypiques, mais pour celui qui se sert de ce paravent au mépris de toute décence, ça peut lui faire réaliser qu'il ne peut renier sa responsabilité si aisément. Et si, effectivement, il y a un réel souci neurologique, j'aurais accepté une réponse en conséquence, et proposé des excuses éventuellement.
D'autre part et plus viscéralement, j'ai réagi ce jour-là avec toutes les émotions qui se battaient en duel dans mon esprit : la colère, la peur, la lassitude aussi... si j'avais déjà en embryon la pensée que je vous ai soumise un paragraphe plus haut, j'ai surtout fait avec mes armes dans une situation d'urgence.

Etait-ce une réponse calibrée ? Dans ce cas précis, elle m'a semblé adaptée sur le moment et je ne la renie pas aujourd'hui. Aurais-je dû la citer dans un groupe se voulant safe ? Je ne sais pas. Je me suis soumise aux règles des lieux et dans un sens c'est parfaitement normal. Mais ce que je retiens, c'est que j'ai pris la parole comme victime face à un homme aux propos très dérangeants. Et qu'au lieu d'un soutien, même modéré, devant un événement récent et très désagréable, on a sauté sur ma propre façon de contrer un discours extrêmement inquiétant. Le safe à tout prix s'est retourné contre la parole d'une victime.

On peut me dire que ce que j'avais posté sur ce groupé était maladroit et devait être recadré. Admettons. Mais en attendant, en tant que victime, j'ai dû me taire. Et autant ma mésaventure fut désagréable, autant je remarque de plus en plus une chose qui ne me concerne pas en première ligne car j'initie rarement des discussions sur les groupes, mais qui m'alarme fortement : pas mal de gens commencent un post par « dites-moi si ce que j'écris doit être recadré ou n'est pas safe, je suis nouveau/velle »... autrement dit, pour des personnes qui ont parfois besoin de conseil, ou de soutien, cette contrainte du safe est posée avant même le fond de leur demande ou de leur discours... et ça me gêne d'autant plus que le concept de base est censé mettre toutes les victimes dans un espace où leur parole sera prise en compte et où une certaine sécurité leur sera offerte. Je pense qu'un terme ou une expression problématiques seront toujours moins préjudiciables... que l'impossibilité de mettre ses propres mots sur son histoire.

Dans un autre genre, je vois que le vocabulaire à bannir selon certains est très étendu, parce que quelques mots couramment employés ont leurs racines plongées dans des domaines particuliers, quelle que soit leur évolution sémantique par ailleurs. Ainsi, les termes « idiot », « fou », font référence à une antique conception de la psychiatrie, « con » est l'ancienne appellation du vagin, etc... cela dit, les mots sont vivants et se détachent assez facilement de leurs origines. J'approuve le fait de tenter au maximum de faire attention à notre façon de parler. Mais parfois, il faut aussi accepter qu'aujourd'hui, un con est avant tout dans l'imaginaire collectif une personne au mieux désagréable, au pire carrément nocif. Ok, c'est moyen glorieux de rattacher ça à l'anatomie féminine. Mais entre ceux qui ne savent pas l'étymologie du mot, ceux qui la déconnectent purement du sens actuel... il me semble que rendre le terme « con » indisponible est une fois de plus davantage préjudiciable qu'efficace en terme de lutte contre la misogynie.

Dans la grande théorie, effacer tout ce qui est discutable peut s'entendre, mais en réalité tout le monde n'a pas la même culture et donc le même stock linguistique dans lequel piocher des mots convenant au message qu'il souhaite faire passer. Bien entendu, il y a une limite à ça : on ne peut pas tout admettre. Un « travail d'arabe » reste péjoratif envers tout une population, une manifestation de saine colère venue d'une femme sera facilement qualifiée de « crise d'hystérie »... Le tri n'est pas facile à faire entre ce qu'on peut tolérer ou non, ce qui doit amener un travail de pédagogie ou un rejet catégorique. Mais ce dont je suis persuadée, c'est qu'il vaut mieux réagir à des termes problématiques plutôt que de les interdire d'emblée, dans la mesure où le sens général du discours n'est pas en soit un souci.


L'espace safe est censé être apaisant, sécurisant... non un espace de contention ultime de la parole. Du moins c'est le sens qui me semblerait logique.

4 commentaires:

  1. Entièrement d'accord !

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  2. Tout est dit, merci pour cet article !

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  3. Ya de la dérive et c'est effectivement grave pour les victimes. Surtout que les plus touchées vont préférer l'anonymat relatif et la protection de l'écran et que les premières personnes sur lesquelles elles tombent vont leur cracher à la gueule parce qu'elles auront osé se défendre 'maladroitement".... en occultant complètement que le premier truc pas safe dans la situation, c'est l'agression elle-même ! En fait je trouve que ça relève un peu de la même logique (que pourtant ces groupes dénoncent) qui dit 'atttends, attends, tu t'es fait violer ok mais.... est-ce que tu étais habillée "safe" ou tu portais une mini-jupe comme une "travailleuse du sexe" ? Ah une mini-jupe ?? Ben tout s'explique !!"

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