Bon, les
gens. On va mettre certaines petites choses au point. Sans thé, sans
cookies... un peu sur le tas, en fait, parce que j'en ai gros, comme
dirait l'autre. Ca ne justifie pas entièrement mon manque de
nouvelles sur le blog depuis un moment mais ça y participe un poil,
dira-t-on, au milieu d'autres tempêtes.
Histoire
de justifier un peu le titre de cet article, parlons un peu d'un truc
qui me dérange de plus en plus : le safe à tout prix.
Le
concept d'espace d'expression safe est régulièrement exploité dans
un mauvais cadre, selon moi. Je sais que je vais irriter des gens
avec mon propos. J'en suis navrée. Je n'exclus pas complètement
l'idée que je puisse me tromper, mais j'apprécierais qu'on me fasse
crédit d'avoir réfléchi au sujet autrement que superficiellement.
Ceci précisé, passons aux choses sérieuses.
Traînant
mes guêtres assez souvent sur divers groupes féministes, NA, je me
sens de plus en plus mal à l'aise avec les dérives que je peux
souvent observer quand il est question de garder un contrôle sur le
vocabulaire employé.
Par mon
métier de correctrice, ou tout simplement parce que je suis une
grande amoureuse des mots, je suis ô combien consciente de leur
importance, et du fait qu'ils ont tous un poids et une saveur.
Néanmoins, je sais aussi que parfois, il est plus important de faire
passer un message global que de choisir chaque terme avec un soin
méticuleux. Et plus important encore en face de tolérer des
expressions qui nous agacent ou nous heurtent dans certaines
circonstances.
Oui,
bon, on va passer de la grande théorie sirupeuse à des exemples un
peu concrets, hein, avant vous ne vous endormiez.
Il y a
un peu plus d'un mois je crois, sur un groupe que j'apprécie
beaucoup, j'exposais une anecdote dans laquelle, aux prises avec un
homme aux propos très graves, j'avais eu une réponse jugée non
safe. J'avais en effet expliqué à cet aimable gus que s'il
n'arrivait pas à envisager la possibilité qu'une femme réponde non
à ds avances, c'est qu'il devait avoir une atteinte neurologique
sévère.
Etant
moi-même assez concernée par le sujet, puisque mon cerveau semble
avoir plus de cicatrices que d'espace en bon état, je sais tout ce
que peut impliquer ma répartie. Notamment, le fait qu'assimiler la
bêtise à un réel état pathologique peut sembler désobligeant
pour ceux qui luttent contre ledit état pathologique. Certes.
Des gens
ont promptement réagi en me demandant de supprimer mon post, parce
que ma réaction à la situation n'était pas une répartie safe.
Mais
d'une part, quand on me dit qu'on ne « peut » pas
envisager un refus, j'ai tendance à rétorquer qu'il est un peu
facile de se retrancher derrière une incapacité... sauf si elle a
une cause technique. Ce n'est pas rabaissant pour les personnes
neuroatypiques, mais pour celui qui se sert de ce paravent au mépris
de toute décence, ça peut lui faire réaliser qu'il ne peut renier
sa responsabilité si aisément. Et si, effectivement, il y a un réel
souci neurologique, j'aurais accepté une réponse en conséquence,
et proposé des excuses éventuellement.
D'autre
part et plus viscéralement, j'ai réagi ce jour-là avec toutes les
émotions qui se battaient en duel dans mon esprit : la colère,
la peur, la lassitude aussi... si j'avais déjà en embryon la pensée
que je vous ai soumise un paragraphe plus haut, j'ai surtout fait
avec mes armes dans une situation d'urgence.
Etait-ce
une réponse calibrée ? Dans ce cas précis, elle m'a semblé
adaptée sur le moment et je ne la renie pas aujourd'hui. Aurais-je
dû la citer dans un groupe se voulant safe ? Je ne sais pas. Je
me suis soumise aux règles des lieux et dans un sens c'est
parfaitement normal. Mais ce que je retiens, c'est que j'ai pris la
parole comme victime face à un homme aux propos très dérangeants.
Et qu'au lieu d'un soutien, même modéré, devant un événement
récent et très désagréable, on a sauté sur ma propre façon de
contrer un discours extrêmement inquiétant. Le safe à tout prix
s'est retourné contre la parole d'une victime.
On peut
me dire que ce que j'avais posté sur ce groupé était maladroit et
devait être recadré. Admettons. Mais en attendant, en tant que
victime, j'ai dû me taire. Et autant ma mésaventure fut
désagréable, autant je remarque de plus en plus une chose qui ne me
concerne pas en première ligne car j'initie rarement des discussions
sur les groupes, mais qui m'alarme fortement : pas mal de gens
commencent un post par « dites-moi si ce que j'écris doit être
recadré ou n'est pas safe, je suis nouveau/velle »...
autrement dit, pour des personnes qui ont parfois besoin de conseil,
ou de soutien, cette contrainte du safe est posée avant même le
fond de leur demande ou de leur discours... et ça me gêne d'autant
plus que le concept de base est censé mettre toutes les victimes
dans un espace où leur parole sera prise en compte et où une
certaine sécurité leur sera offerte. Je pense qu'un terme ou une
expression problématiques seront toujours moins préjudiciables...
que l'impossibilité de mettre ses propres mots sur son histoire.
Dans un
autre genre, je vois que le vocabulaire à bannir selon certains est
très étendu, parce que quelques mots couramment employés ont leurs
racines plongées dans des domaines particuliers, quelle que soit
leur évolution sémantique par ailleurs. Ainsi, les termes
« idiot », « fou », font référence à une
antique conception de la psychiatrie, « con » est
l'ancienne appellation du vagin, etc... cela dit, les mots sont
vivants et se détachent assez facilement de leurs origines.
J'approuve le fait de tenter au maximum de faire attention à notre
façon de parler. Mais parfois, il faut aussi accepter
qu'aujourd'hui, un con est avant tout dans l'imaginaire collectif une
personne au mieux désagréable, au pire carrément nocif. Ok, c'est
moyen glorieux de rattacher ça à l'anatomie féminine. Mais entre
ceux qui ne savent pas l'étymologie du mot, ceux qui la déconnectent
purement du sens actuel... il me semble que rendre le terme « con »
indisponible est une fois de plus davantage préjudiciable
qu'efficace en terme de lutte contre la misogynie.
Dans la
grande théorie, effacer tout ce qui est discutable peut s'entendre,
mais en réalité tout le monde n'a pas la même culture et donc le
même stock linguistique dans lequel piocher des mots convenant au
message qu'il souhaite faire passer. Bien entendu, il y a une limite
à ça : on ne peut pas tout admettre. Un « travail
d'arabe » reste péjoratif envers tout une population, une
manifestation de saine colère venue d'une femme sera facilement
qualifiée de « crise d'hystérie »... Le tri n'est pas
facile à faire entre ce qu'on peut tolérer ou non, ce qui doit
amener un travail de pédagogie ou un rejet catégorique. Mais ce
dont je suis persuadée, c'est qu'il vaut mieux réagir à des termes
problématiques plutôt que de les interdire d'emblée, dans la
mesure où le sens général du discours n'est pas en soit un souci.
L'espace
safe est censé être apaisant, sécurisant... non un espace de
contention ultime de la parole. Du moins c'est le sens qui me
semblerait logique.
merci
RépondreSupprimerEntièrement d'accord !
RépondreSupprimerTout est dit, merci pour cet article !
RépondreSupprimerYa de la dérive et c'est effectivement grave pour les victimes. Surtout que les plus touchées vont préférer l'anonymat relatif et la protection de l'écran et que les premières personnes sur lesquelles elles tombent vont leur cracher à la gueule parce qu'elles auront osé se défendre 'maladroitement".... en occultant complètement que le premier truc pas safe dans la situation, c'est l'agression elle-même ! En fait je trouve que ça relève un peu de la même logique (que pourtant ces groupes dénoncent) qui dit 'atttends, attends, tu t'es fait violer ok mais.... est-ce que tu étais habillée "safe" ou tu portais une mini-jupe comme une "travailleuse du sexe" ? Ah une mini-jupe ?? Ben tout s'explique !!"
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